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Euthanasie : les raisons de s’y opposer

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Publié le

6 mars 2018

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euthanasie

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Jean-Louis Touraine, député LREM du Rhône et Vice-président de la commission des affaires sociales, a récemment publié une tribune en faveur de l’euthanasie, intitulée « Pour une liberté républicaine : le choix de sa fin de vie », cosignée par 156 députés dont la très grande majorité émane de la République en Marche (LREM).

 

Les ficelles sont grosses et les arguments toujours les mêmes, quand il s’agit de transgressions que l’on veut légitimer en se plaçant sur le registre de l’émotion et non celui de la raison.

Jean-Louis Touraine s’appuie d’abord sur un sondage réalisé par l’IFOP pour La Croix, selon lequel 89% des Français considèrent important de légaliser l’euthanasie. Mais, lorsqu’on remonte à la source et que l’on analyse la manière dont on est posée la question dans ce sondage, on s’aperçoit tout de suite d’un oubli de taille : « Pensez-vous qu’il faille aller plus loin que la législation actuelle sur la fin de vie, en légalisant le suicide assisté (c’est-à-dire la possibilité pour un tiers de délivrer un produit létal permettant à celui qui le souhaite de mettre fin à ses jours) et / ou l’euthanasie (c’est-à-dire la possibilité pour un patient souffrant d’une maladie incurable de demander à un médecin de mettre fin à ses jours) ? » Le sondage sous-entend que la seule possibilité de lutter contre une maladie incurable est de légaliser l’euthanasie. Rien n’est dit du développement des soins palliatifs qui constitue pourtant la seule alternative humaine et raisonnable pour répondre à la souffrance des patients en fin de vie. En ce sens, le sondage est biaisé.

Jean-Louis Touraine s’appuie aussi sur la pratique actuelle de l’euthanasie par un certain nombre de médecins en France – malgré les restrictions actuelles déjà bien insuffisantes – et à l’étranger, où elle est autorisée de manière plus large en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse, pour dénoncer une forme d’hypocrisie et demander un alignement sur nos voisins permissifs. En quoi le fait est-il prescripteur du droit ? En quoi l’existence supposée d’une pratique généralisée commanderait-elle d’adapter le droit existant ? Celui-ci n’a pas vocation à n’être que le reflet de la réalité sociale, il est avant tout normatif en ce qu’il distingue le permis de l’interdit, et transcendant, dans la mesure où il est lié à l’idée universelle de justice. Jus id quod justum est, le droit est ce qui est juste, disait la scholastique médiévale.

 

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Jean-Louis Touraine joue aussi sur le registre d’une fausse compassion en dénaturant totalement le sens des mots. Sa proposition de loi porte en effet sur « la fin de vie dans la dignité », faisant ainsi de chaque personne l’ultime arbitre de sa propre dignité. Or, la dignité de l’homme est intrinsèque à son existence, elle ne dépend pas de son degré d’autonomie. « La dignité, explique Marie de Hennezel, ne consiste pas à donner la mort, mais à humaniser la fin de vie […] Ce n’est pas parce qu’on est physiquement dégradé qu’on perd en humanité. Entretenir une telle confusion me paraît dangereux […] On pourrait en conclure que des personnes handicapées, parce qu’elles sont moins autonomes, seraient moins dignes de considération que les personnes valides », ce qui serait révoltant.

D’ailleurs, quel regard ces personnes auront-elles d’elles-mêmes ? Se sentiront-elles de trop jusqu’à demander l’euthanasie pour ne pas être un poids pour la société ou leurs familles ? Le risque serait alors non nul que par effet de mimétisme tous ceux qui éprouvent une gêne d’exister en viennent à demander la mort, conditionnés par l’atmosphère de la société valorisant le rendement, l’efficacité et la santé et donnant mauvaise conscience à tous les êtres fragiles. Il est donc indispensable de rappeler que la dignité dépasse toute perception que l’homme peut avoir d’elle-même ; vouloir la normaliser dans une situation de bien-être subjectif ou de santé physique traduirait avant tout un mépris darwinien de la fragilité, qui oblitère tout notre édifice social fondé sur la solidarité.

D’une manière générale, une civilisation régresse à partir du moment où elle décide de capituler devant la souffrance. Fatalistes, les partisans de l’euthanasie oublient que les plus grands progrès ont été accomplis par la médecine parce qu’elle était au service de la vie humaine. S’il devient possible d’abréger toute souffrance en donnant légalement la mort, qui fixera le curseur du seuil de l’intolérable ? Se préoccupera-t-on de développer les soins palliatifs ? « Une loi autorisant l’euthanasie risquerait de ruiner des années d’efforts entrepris au bénéfice des patients » estime Marie de Hennezel, auteur de rapports officiels sur la fin de vie et ayant travaillé pendant dix ans dans la première unité de soins palliatifs créée en France en 1987.

 

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Enfin, Jean-Louis Touraine se place sur le plan philosophique en faisant de l’euthanasie « l’ultime liberté » à conquérir, en précisant que « le choix de la personne doit pouvoir être respecté, quand il est libre, éclairé, soumis à nulle contrainte ou dépression ». Là aussi, l’argumentation est spécieuse. Peut-on concevoir philosophiquement qu’une personne puisse librement demander la mort ? Si cette personne est indemne de toute souffrance, peut-on alors considérer qu’elle puisse émettre un consentement éclairé concernant une situation qu’elle ne connaît pas encore mais qu’elle peut simplement imaginer dans son esprit à partir des situations qu’elle a vues chez des tiers ? Philippe Pozzo di Borgo, à l’origine de l’histoire du film Intouchables donne son témoignage : « Si vous m’aviez demandé lors de mes quarante-deux ans de splendeur, avant mon accident, si j’accepterais de vivre la vie qui est la mienne depuis vingt ans, j’aurais répondu sans hésiter, comme beaucoup : non, plutôt la mort ! Et j’aurais signé toutes les pétitions en faveur d’une légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie ». Dans un tel cas de figure, impossible de se projeter dans une situation tant qu’on ne l’a pas expérimenté.

Une civilisation régresse à partir du moment où elle décide de capituler devant la souffrance.

De même, lorsqu’une personne, à l’agonie, en vient elle-même à demander la mort (ce qui est beaucoup moins fréquent que les demandes d’euthanasie en provenance des tiers), doit-on considérer que son consentement est libre ou bien peut-on admettre qu’il est « violenté » par l’extrême douleur que la personne éprouve ? En droit, un acte peut être déclaré nul s’il a été effectué sous l’empire d’une quelconque violence : pression psychologique pour contracter un mariage, pression financière pour acheter un bien immobilier, etc… Doit-on alors comprendre la demande du malade comme un appel au secours pour abréger non pas sa vie mais ses douleurs ? Un médecin, s’il veut vraiment respecter son patient, ne doit-il pas décoder les intentions profondes de son patient au-delà des paroles émises, et reformuler celles-ci en conformité avec celles-là ?

Sans compter qu’après la légalisation du suicide assisté, viendra la pression euthanasique, puis l’euthanasie utilitaire (notamment pour les dons d’organes). C’est déjà le cas en Belgique. Or, le 29 novembre dernier, Jean-Louis Touraine, par ailleurs président de l’association France Transplant, a été chargé par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale d’une mission sur le prélèvement d’organes. Comment ne pas faire le rapprochement ?

 

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La vraie réponse à la souffrance des malades en fin de vie n’est pas l’euthanasie mais le développement des soins palliatifs. Le budget alloué à la mise en œuvre du Plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs, d’un montant de 190 M€, est nettement insuffisant. « Un Français sur deux n’a pas accès aux soins palliatifs » déplore le professeur Vincent Morel, chef de service de l’unité mobile de soins palliatifs au CHU de Rennes et président de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs. C’est là que se situe l’urgence.

Au-delà de la réponse médicale, la question de l’euthanasie nous renvoie au sens de la solidarité humaine face à la fragilité de la vie. Il est faux de prétendre que l’homme peut disposer comme il l’entend de sa propre vie. Sans faire appel à une quelconque transcendance, la dépendance de l’homme par rapport aux solidarités affectives nouées par lui au fil de sa vie est un fait que nul ne conteste. L’homme n’appartient-il qu’à lui-même ? N’est-il pas redevable de lui-même à l’égard des tiers, à plus forte raison s’il a partagé son destin avec un conjoint et fondé une famille dont il a la charge ? La vision prométhéenne de l’homme érigeant celui-ci en souverain maître et unique arbitre de sa propre vie n’est que le dernier avatar d’un individualisme forcené oubliant la dépendance mutuelle des êtres et les obligations qui en découlent. C’est vers cela que veut nous emmener Jean-Louis Touraine et c’est ce que nous refusons !

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