Ce mardi 31 mai, Emmanuel Macron s’est rendu au centre hospitalier de Cherbourg pour recueillir le témoignage de centaines de soignants, désespérés par la crise que connaît le service de santé français. TF1 était sur place et leurs images sont saisissantes, chacun voulant exprimer sa consternation : « On a quelqu’un qui est en arrêt depuis un an et on n’a toujours pas de remplaçant ». « Des médecins, s’il vous plaît, des médecins. On a besoin de médecins ». « Monsieur le Président, bonjour. Je suis le docteur Marie, psychiatre. On est en net sous-effectif. Les unités d’hospitalisation sont saturées, les équipes sont épuisées ».
Jusqu’à 120 services d’urgence pourraient fermer cet été. Quel est le plan d’Emmanuel Macron ? Établir une cartographie complète avec une base de données et qui serait prête pour le début de l’été. C’est ce qu’il appelle la « mission éclair ». Par la suite, et à partir de cette base, il y a aura un investissement pour redresser l’hôpital, a-t-il promis. Mais aucune mesure précise n’est annoncée, pas de plan pour un président qui fait semblant de découvrir une crise qui existe depuis des années. Tartuffe.
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La situation vue par le SAMU
Nous avons interrogé Bertrand Galichon, ancien responsable adjoint des urgences de l’hôpital de Lariboisière (Paris), et actuellement salarié du SAMU social de Paris à la PASS (permanences d’accès aux soins de santé) de l’hôpital saint Louis. Voici le cœur de ses propos :
« À l’assistance publique, 50% des postes de l’assistance sociale ne sont pas pourvus ; il y a un peu plus de 1200 lits fermés pour insuffisance de personnel ; l’un des services emblématiques de la neurologie est fermé à moitié ; il y a un déficit très important en personnel médical et paramédical aux urgences de Lariboisière et ils ne savent pas du tout comment s’organiser pour cet été.
C’est d’abord un problème de personnel puisque le nombre de patient pris en charge est identique à ceux des dernières années. Tous les secteurs de la médecine sont touchés. Les structures d’accueil type maison de retraite et foyers d’accueil souffrent aussi et donc tout le monde s’adresse aux urgences qui ne peuvent pas répondre à tout.
En réalité, ce n’est pas à cause du Covid qu’il y a un manque très important de personnel. Ce qui empoisonne l’hôpital, c’est une sur-administration avec tableau Excel et les gens n’en peuvent plus. En février, mars, avril, mai 2020, les soignants avaient retrouvé les raisons de leur vocation parce que l’administration s’était mise un peu en retrait. L’administration est revenue au pas de charge à l’été 2020 et c’est là que les choses ont commencé à se dégrader très rapidement. Le « Ségur de la santé » a été un fiasco épouvantable.
« La raison profonde du désastre dans lequel on est, c’est l’indigence de la gestion du système de santé français depuis plusieurs dizaines d’années, qui explose maintenant à cause des évènements épidémiques »
Bertrand Galichon
La raison profonde du désastre dans lequel on est, c’est l’indigence de la gestion du système de santé français depuis plusieurs dizaines d’années, qui explose maintenant à cause des évènements épidémiques. Tout le monde se protège, se cantonne à son pré carré et ne veut pas entendre parler de ce qui se passe ailleurs. Je vois ça de la rue, du SAMU social, et je vois des hôpitaux qui se ferment, qui ne peuvent plus accepter tous ces gens qui ont besoin de soins.
On embauche dans des services difficiles des personnes qui sont à peine sorties de l’école. Qu’ils soient assistants-sociaux, aides-soignants, infirmiers, ils sont frais émoulus de leurs études et ils n’ont pas encore eu le temps de faire leurs armes que déjà ils sont jetés dans l’arène.
Si un mouvement social commence à se dessiner et en partant de l’hôpital, ça va être très difficile puisque le service de santé est indispensable et que la réponse de la part des autorités sera nécessaire. Toute la population est concernée, quels que soit en son âge et sa classe sociale. Mais il y a d’autres administrations qui sont dans des situations équivalentes : la police, la justice, l’enseignement. Si ça pète, ça va être chaud bouillant.
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En réponse, il va falloir redéfinir la gouvernance de l’hôpital. Ne plus définir le soin comme un lieu de profit mais comme une responsabilité de tous. Je crois que le gros problème se situe au niveau de la formation des médecins, des paramédicaux, des sage-femmes, et de la formation du personnel administratif appelé à gérer les hôpitaux. Tout ce monde-là n’est pas bien formé. Pour faire simple, on inculque aux jeunes étudiants des protocoles sous forme d’algorithme et il n’y a pas de sens ».
La crise vécue sur le terrain
Anne, elle, est infirmière aux urgences en province. Elle constate « l’enfer dans lequel le personnel soignant travaille aujourd’hui ». Le manque de personnel soignant est flagrant dans tous les services et aucune solution n’est envisagée à ce jour. « Des soignants qui sont en arrêt maladie pour burn-out, c’est devenu chose courante », confie-t-elle. D’après la Fédération hospitalière de France, il manquerait actuellement 20 000 soignants, dont 11 000 infirmières, 5 00 aides-soignants et 4 000 médecins urgentistes.
D’après la Fédération hospitalière de France, le nombre de médecins, infirmiers et aides-soignants suspendus pour non-vaccination tourne plutôt autour de 2 000 personnes
Mais ce qui marque le plus Anne, ce sont ces discussions aigres au sujet de la vaccination. Beaucoup d’infirmières et de salariés de l’hôpital public n’ont pas digéré cette obligation vaccinale, même si les chiffres réels sont bien inférieurs à ceux qui sont généralement avancés : d’après les chiffres que nous avons pu nous procurer auprès du ministère de la santé, ce sont, secteur médico-social et secteur sanitaire additionnés, moins de 5000 personnes qui sont actuellement suspendues, et non 15 000, représentant moins de 1% du personnel complet. En effet, les deux tiers des 15 000 originellement annoncés par Olivier Véran se seraient depuis vaccinés. Le chiffre de 5 000 comprend du reste le personnel administratif et le personnel médical. Toujours d’après la Fédération hospitalière de France, le nombre de médecins, infirmiers et aides-soignants suspendus pour non-vaccination tourne plutôt autour de 2 000 personnes. Autant dire que leur réintégration serait loin de suffire pour résoudre la grave crise qui frappe l’hôpital.