Théo est une nouvelle victime de la nocence commune, de cette incapacité barbare à ne pas nuire à autrui qui semble être devenue la règle comportementale de la majorité de nos contemporains. On peut tuer et être tué pour quelques euros, un regard mal interprété, un crop top trop ajusté, un propos trop enlevé ou un trajet en transports en commun mal pensé. Il faut veiller quotidiennement… non point à vivre mais à survivre, à éviter le pire. Quelques secondes à peine suffisent à irrémédiablement changer une destinée familiale, précipitant dans le chagrin et le désespoir ceux qui croyaient avoir la vie devant eux.
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L’homme qui a tué Théo était un Sénégalais de 62 ans, vivant en France en « situation régulière » – son permis de séjour devant expirer le 20 juillet prochain. Connu des services de police, l’assassin de Théo était inscrit au traitement des antécédents judiciaires (TAJ, fichier de police judiciaire alimenté par la police et la gendarmerie) pour plusieurs affaires de violences et de vols commis entre 1993 et 2006. Avait-il adopté un comportement de parfait citoyen depuis ? Nul ne le sait, le TAJ n’indiquant que les faits antérieurs à l’année 2006, mais il est à peu près évident qu’une vie passée à « nuire » ne connaît que peu de pauses. Il a tué Théo et blessé très grièvement Dany, son collègue en contrat d’alternance.
Quand cette histoire est sortie dans les médias, certains commentateurs ont cru y voir un acte terroriste islamiste de plus. Comment les en blâmer ? Le terrorisme du quotidien est difficilement distinguable du terrorisme islamiste banalisé. Mêmes victimes et mêmes auteurs. Seules les motivations changent, pas le ressentiment ni la haine. Une chose est, en revanche, très différente, sinon dissemblable : le traitement médiatique. Le célèbre homonyme du petit Théo a eu droit à une visite du candidat Macron sur son lit d’hôpital en février 2017, il ne fait guère de doute que la famille de Théo n’aura droit qu’à des hommages sur Twitter.
Selon que vous serez issu des anciens dominants fantasmés ou des prétendus dominés, vous aurez le droit au statut peu enviable de victime invisibilisée, ou à celui de victime suscitant l’indignation générale
Personne ne posera le genou à terre pour rendre hommage au martyr de l’immigration de masse et de la déculturation générale. Au moins, son cas aura-t-il été connu de tous, contrairement à celui de Pierrick, du nom de ce jeune homme innocent massacré en défendant sa voisine poursuivie par la folie vengeresse de son ex-compagnon Abdelkader. « Ils ne t’ont pas donné la mort, non… Ils t’ont massacré, ont brûlé ton corps. Comment des êtres humains peuvent-ils être capables de ça ? Aujourd’hui, il nous est même impossible de te dire au revoir. Tu avais 23 ans et la vie devant toi… », a écrit sa mère Hélène le lendemain dans l’indifférence la plus générale.
Selon que vous serez issu des anciens dominants fantasmés ou des prétendus dominés, vous aurez le droit au statut peu enviable de victime invisibilisée, ou à celui de victime suscitant l’indignation générale. Pour les uns, les messages enflammés et solennels des célébrités. Pour les autres, les inaudibles récriminations des réseaux sociaux, sur lesquels leurs rares soutiens sont ridiculisés et accusés de « récupérer » les faits divers pour en tirer la substantifique moelle du cynisme. Nous entendrons encore longtemps les longs sanglots des violences monotones.