Il faut parfois tout perdre pour écrire vraiment. C’est la leçon terrible et splendide que nous laisse La soif de honte, le dernier livre de Nicolas Bedos, paru chez L’Observatoire. Un récit où l’on n’attendait plus rien sinon quelques excuses mal écrites, quelques lamentations médiatiques, et où surgit, contre toute attente, un grand texte littéraire. Non pas un plaidoyer, encore moins un manifeste, mais un miroir tendu au lecteur, et peut-être à notre époque tout entière.
Il aurait pu se taire, se terrer, devenir ce visage déchu que les plateaux n’osent plus inviter qu’à la marge. Il aurait pu écrire une lettre aux Français dans Le Figaro comme Gérard Depardieu, une justification édulcorée, ou, comme tant d’autres, se réfugier dans la victimisation chic. Mais Bedos n’a choisi ni l’évitement, ni le pardon instantané. Il a choisi ce qu’il manie le mieux : la plume. Une langue belle, dense, parfois précieuse, souvent incandescente, dans laquelle il se livre sans fard. Le titre dit tout : La soif de honte. Il faut avoir touché le fond de sa propre histoire pour faire de la honte non un fardeau mais un moteur, non un poids mais un carburant littéraire.
Le livre prend la forme d’un procès intérieur : le livre est écrit à la deuxième personne du singulier. L’auteur y est à la fois accusé, juge, greffier, avocat. C’est un théâtre intime, une mise en scène de sa chute, mais aussi une tentative de compréhension. Rien n’est évacué : les comportements déplacés, les soirs d’ivresse, la peur de la solitude et l’addiction au désir. Mais rien n’est livré à la vindicte non plus.
Dans une époque qui confond transparence et exhibition, Bedos parvient à dire l’intime sans l’impudeur, la faute sans le moralisme, le tragique sans le pathos.
Fils de Guy Bedos, nourri aux acides tendresses du théâtre de boulevard et des dîners germanopratins, Nicolas Bedos a longtemps joué à cache-cache avec lui-même. Tour à tour chroniqueur brillant, cinéaste célébré, dandy fatigué ou adolescent tardif, il a tout connu, trop vite. Et tout perdu, presque d’un coup. Il y a quelque chose de Drieu moderne dans la chute stylée.
Mais La soif de honte n’est pas qu’un livre triste. Il y souffle une vie, un panache, une honnêteté rare. Dans une époque qui confond transparence et exhibition, Bedos parvient à dire l’intime sans l’impudeur, la faute sans le moralisme, le tragique sans le pathos. Son écriture a perdu les minauderies de ses débuts, elle s’est assombrie, épurée. Du décès de son père, à la maladie mentale de sa demi-sœur, en passant par la naissance de sa fille ou l’alcoolisme de sa mère, on sent chez lui une volonté presque mystique de ne rien esquiver.
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Alors bien sûr, les rieurs de service se sont empressés de cracher sur l’homme à terre. Paul de Saint Sernin, comique à cheveux longs et à idées courtes, s’est distingué sur le plateau de Quelle époque par une saillie aussi plate que sa répartie. Faussement impertinent, vraiment médiocre. Il faut croire que notre époque, qui se veut morale, réserve à ses parias la moquerie cruelle des faibles. Mais c’est mal comprendre ce que Bedos accomplit ici : il ne se pare d’aucune vertu, mais assume le vertige, propose aucun modèle, aucun chemin, mais offre le contre-exemple parfait de ce que peut encore la littérature : dire l’abjection sans jamais perdre la grâce.
À l’heure où les mots sont soit aseptisés, soit braillés, Nicolas Bedos nous rappelle que la langue française n’est pas morte. Et cela, n’en déplaise aux chroniqueurs à punchlines et aux justiciers de plateau, c’est déjà une victoire.
