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Éditorial monde d’octobre : La mer et l’amour ont l’amer en partage

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Publié le

6 octobre 2021

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Le numéro 46 est disponible depuis ce matin en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial monde, par Laurent Gayard.
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Le temps figé du coronavirus prend fin. On soupçonnait bien sûr que les conséquences géopolitiques de la pandémie se feraient sentir tôt ou tard mais l’accélération est violente. L’été 2021 s’est achevé en France sur l’image des soignants, héros d’hier, menés à la baguette vers les centres de vaccination, certains versant des larmes amères au moment de se faire injecter sous la contrainte le sésame sanitaire. Ailleurs dans le monde, un autre cycle se conclut avec l’image de cet hélicoptère évacuant en urgence du personnel américain et des civils du toit de l’ambassade à Kaboul, le 15 août, face à l’avancée des Talibans. Un cliché tout de suite comparé à celui du 29 avril 1975, dans le contexte de la déroute sud-vietnamienne face à la victoire communiste. Beaucoup ont immédiatement estimé que l’échec afghan inaugurait, comme pour le Vietnam il y a vingt-six ans, une période de repli et d’indécision pour l’Amérique, conclusion quelque peu hâtive si l’on en juge par les derniers événements. Les États-Unis ont beau être confrontés à une grave crise interne et à l’irrésistible ascension de la Chine, le retrait de l’Afghanistan signifie, moins qu’un repli, un repositionnement stratégique dont les Français ont brutalement pris la mesure, le 15 septembre, avec l’annonce par l’Australie de la rupture du « contrat du siècle », signé en 2016, portant sur l’achat de douze sous-marins à propulsion conventionnelle pour 35 milliards d’euros.

Canberra opère un revirement stratégique radical qui fait surgir le spectre d’une nucléarisation de la zone pacifique

Mais, pour humiliant qu’il soit, le camouflet infligé à l’industrie navale française est moins important que l’annonce qui l’a accompagnée. Dans une déclaration commune, Joe Biden, Boris Johnson et Scott Morrison ont annoncé la signature d’un pacte de sécurité qui réunit les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie : AUKUS (Australia, United Kingdom, United States) remplace ANZUS (Australia, New Zealand, United States Secu- rity, signé en 1951) dans le but avoué de contrer l’influence chinoise dans le Pacifique, nouveau centre du monde. Au-delà de la mise à l’écart de la France, le nouveau traité AUKUS et le contrat signé par Washington avec Canberra installent un précédent dangereux : les Français s’étaient engagés, à la demande des Australiens, à livrer des sous-marins à propulsion conventionnelle. Les États-Unis livreront, eux, des sous-marins nucléaires. Canberra opère un revirement stratégique radical qui fait surgir le spectre d’une nucléarisation de la zone pacifique et d’une course aux armements non conventionnels dans cette région désormais au centre des tensions mondiales. Qu’est-ce qui pourrait empêcher les autres puissances de la région de s’équiper à leur tour de ce type de matériel, éventuellement avec l’aide des Chinois, par mesure de rétorsion vis-à-vis de l’Australie ?

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Le repositionnement américain rebat les cartes de façon claire. En quittant l’Afghanistan, Washington abandonne un théâtre d’opérations qui s’était transformé en bourbier et laisse à la charge du gouvernement taliban le soin de gérer les conflits entre groupes armés et groupes islamistes qui déchirent le pays, EI-K et Al Qaïda compris. C’est laisser aussi un beau cadeau à la Chine et à la Russie qui voient ainsi s’installer à leur porte une zone de fixation pour le terrorisme international, susceptible de déstabiliser une Asie centrale déjà gangrenée par la corruption, le trafic de drogue et l’implantation de l’État islamique. En lieu et place de l’Afghanistan, les États-Unis concentrent leurs efforts, depuis plus d’une décennie, sur le soutien militaire aux voisins et rivaux de la Chine dans la zone pacifique. C’est la seule stratégie à tenir pour la première puissance mondiale qui n’a plus les moyens d’une confrontation directe avec une Chine ayant largement musclé ses capacités aériennes, militaires et navales. Pour les Français et les Européens, le revirement de Canberra et l’annonce du pacte AUKUS comportent aussi une cruelle leçon. Le Royaume-Uni prend définitivement le large vis-à-vis de l’Europe pour réaffirmer sa vocation universelle proclamée dans le rapport officiel « Global Britain », publié en 2021. Ce faisant, Londres nous laisse seuls, empêtrés dans l’interminable crise sanitaire, en face du plus grand EHPAD d’Europe : l’Allemagne, repliée avec obstination sous le parapluie américain, refusant à toute force d’accorder le moindre crédit à une quelconque Europe de la puissance. Et pendant que le Royaume-Uni prend le large, la France n’a plus que ses yeux pour pleurer, mais ses larmes sont déjà noyées dans l’océan de la nouvelle géopolitique mondiale.

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