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Les médecins, pas tout blancs 

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15 février 2023

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Refus des contraintes, numerus clausus, lutte contre les infirmiers : dans la crise qui frappe le système de santé, les médecins libéraux ont eux aussi leur part de responsabilité, à cause d’un mauvais réflexe libéral et d’un corporatisme mal entendu.
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La crise de l’hôpital est le signe d’un système de santé qui dans son entièreté est à bout de souffle. À l’heure d’en dresser un diagnostic froid et de pointer les responsabilités, il est courant quoique parfaitement légitime de montrer du doigt les technos qui ont rationné l’hôpital public, un peu moins de questionner le rôle des médecins libéraux dans l’évolution des politiques de santé publique ces cinquante dernières années – il faut dire qu’ils disposent, par la voix de leurs puissants syndicats, du capital culturel et social nécessaire pour se faire entendre médiatiquement et institutionnellement. 

Le fond de sauce libéral, ou le refus des contraintes 

Ainsi que l’a montré le sociologue Patrick Hassenteufel, le syndicalisme médical français se distingue de ses voisins européens par un souci très affirmé de la défense des principes de la médecine libérale, depuis au moins la charte de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) de 1927. Spécialiste des questions sociales et de santé, désormais vice-président du Conseil d’État, Didier Tabuteau a, lui, souligné dans ses travaux combien le rapport des médecins à l’égard des pouvoirs publics était historiquement empreint d’une grande méfiance. 

Lire aussi : Mais où est donc passé le personnel soignant ?

C’est à partir de ce cadre théorique qu’il faut comprendre le vilain réflexe libéral qui anime le syndicalisme médical, toujours soucieux d’écarter les contraintes en tout genre. C’est ainsi que fut obtenue la fin des gardes obligatoires en 2002 sous le ministère de Jean-François Mattéi, lui-même médecin. L’idée n’était évidemment pas de rompre la permanence des soins, service public obligatoire, mais de s’en remettre au volontariat. « Tous devaient s’entendre pour établir un tableau de garde. L’ordre des médecins organisait ce tableau et, s’il n’y parvenait pas, le préfet avait autorité pour imposer », explique-t-il a posteriori au Monde. Il n’en fut rien hélas, et jamais l’on ne put revenir dessus, de peur d’aggraver encore la crise des vocations.

Résultat : selon l’enquête du Conseil national de l’ordre des médecins, à peine 40 % des généralistes ont effectué au moins une garde en 2020, alors que le taux de volontariat était inférieur à 60 % dans deux tiers des départements. Dans vingt-neuf d’entre eux, il n’y a plus de médecin de garde passé minuit. Conséquence : unique recours, les urgences prennent l’eau, au point que le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) Frédéric Valletoux, appelait en mai dernier au rétablissement des gardes obligatoires, ce qui provoqua l’ire de six organisations syndicales représentatives des médecins. « Si on veut dissuader les jeunes de s’installer dans les déserts médicaux, voire de choisir notre profession, il n’y a pas mieux ! » juge le docteur Jacques Battistoni, président de MG France.

Leur argument : il faut limiter l’accès à la profession – pour s’assurer une patientèle ? – sans quoi la qualité du soin, qui compte plus que la densité médicale, serait menacée

Autre problématique : la liberté d’installation. Face à la mauvaise répartition des médecins sur le territoire – ils se concentrent dans les agglomérations ensoleillées et sur les littoraux, bref aux endroits où il fait bon vivre et où la clientèle, âgée, est nombreuse – beaucoup estiment qu’il faudrait orienter l’installation, s’il le faut par la contrainte. Alors ministre de la Santé, Roselyne Bachelot souhaitait mettre en place un conventionnement collectif, mesure dissuasive afin que les médecins s’installant dans les zones surmédicalisées ne soient plus remboursés par l’Assurance maladie. C’est la levée de boucliers, emmenée notamment par un certain Olivier Véran, patron d’un syndicat d’internes. François Fillon demande à sa ministre d’arrêter le bras de fer, épisode qu’elle analyse dans Le Monde : « La médecine de ville estime qu’on ne doit lui imposer aucune contrainte, ni contrainte d’installation, ni contrainte de déclaration des absences, ils sont maîtres et compagnons ». Rappelons que les pharmaciens ne disposent pas de la liberté d’installation (ils doivent obtenir une autorisation accordée par l’ARS), et que les kinés, infirmiers et sages-femmes travaillent sous le régime d’un conventionnement sélectif. Outre-Rhin, la régulation de l’installation des médecins est parmi les plus stricts au monde, via un système de planification des besoins qui a obtenu des résultats probants. 

Mauvais corporatisme d’hier et d’aujourd’hui 

Certes, on entend l’argument : les contraintes, en plus de sembler injustes après des études longues et difficiles, risqueraient d’alimenter la crise des vocations. En clair, le problème de fond, c’est la démographie médicale. Dont acte. Cette réalité appelle donc des réformes pour accroître l’offre de soins. Hélas, malgré des revendications légitimes, la médecine libérale a encore une responsabilité en la matière, à cause d’un corporatisme aux allures malthusiennes.

Lire aussi : Urgence : pourquoi l’hôpital crève ?

À cet égard, l’histoire du numerus clausus est intéressante car il est bien un acquis du corps médical. Revendication des syndicats dès les années 1930 puis dans l’après-guerre, il est mis en place en 1971 sous l’influence du Syndicat autonome des enseignants de médecine (SAEM), en réponse aux tumultes de mai 68 et au triplement du nombre d’étudiants. Leur argument : il faut limiter l’accès à la profession – pour s’assurer une patientèle et donc des revenus ? – sans quoi la qualité du soin, qui compte plus que la densité médicale disent-ils, serait menacée. « La qualité des médecins est un facteur de santé publique beaucoup plus important que leur nombre » juge alors Bernard Antoine du SAEM. L’État plie mais fixe une limite supérieure aux revendications du syndicat (8 588 contre 4 000).

À partir de 1977, y voyant l’opportunité de réduire les dépenses de santé ainsi que le demande Bercy, Simone Veil inaugure la diminution du numerus clausus jusqu’à atteindre 3 500 en 1993 – avec l’appui tout au long du processus de certains grands syndicats (la CSMF, la FMF, l’ANEMF, etc.) et de l’Assurance-maladie, dont le directeur Gilles Johanet parle même de « 20 000 médecins à reconvertir » ! Ce n’est qu’au début des années 2000, alors que les premières pénuries de médecins apparaissent, que le numerus clausus est revu à la hausse. En 2007, Xavier Bertrand fait encore face à la grogne de certains syndicats (les jeunes généralistes du SNJMG, les internes de l’ISNAR-IMG, etc.), arguant toujours des problèmes de formation. Après coup, l’ancien président du Syndicat des médecins libéraux Philippe Vermersch confesse un manque d’anticipation : « C’est une erreur de tout le monde, c’est vrai qu’à l’époque les syndicats défendaient ce numerus clausus. Tout le monde avait de quoi travailler et on n’avait pas la notion de désert médical ».

Ce corporatisme mal compris se poursuit de nos jours sur la question des infirmiers de pratique avancée (IPA)

Hélas, ce corporatisme mal compris se poursuit de nos jours sur la question des infirmiers de pratique avancée (IPA). Pour réinvestir les déserts médicaux, et puisqu’un Français sur dix n’a pas de médecin, beaucoup considèrent qu’il nous faudrait largement déployer ces infirmiers expérimentés en leur confiant des missions plus poussées, jusque-là réservées aux seuls médecins. Ainsi, courant janvier, une proposition de loi portée par la députée Stéphanie Rist (Renaissance) entendait permettre l’accès direct des patients aux IPA (il leur faut pour l’instant passer par un médecin) et leur permettre de délivrer des ordonnances. Quoiqu’elle semble salutaire en situation d’extrême tension, cette proposition fâche certaines organisations syndicales, mais aussi François Arnault, le président du Conseil national de l’ordre des médecins : « Même s’il y a une difficulté d’accès, l’examen par un médecin dans l’entrée des soins est indispensable […] Nos compétences doivent être mises à la disposition des patients et de la population. Ceux qui organisent le contournement de cela prennent de grosses responsabilités dans la perte de chances ». Chers malades, armez-vous donc de patience pour devenir patients.

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