[vc_row][vc_column][vc_column_text css=”.vc_custom_1574176118748{margin-right: 25px !important;margin-left: 25px !important;}”]
Maire de Montfermeil depuis 2002, Xavier Lemoine a vu en avant-première Les Misérables, le film qui a « bouleversé » Emmanuel Macron. Il nous livre en exclusivité son avis.
Quel est votre impression générale ? Aviez-vous des attentes ou des appréhensions ?
C’est un film puissant, juste et vrai. Je n’avais pas grande appréhension connaissant les talents cinématographiques de Ladj Ly. Il est heureux que ce film puisse avoir le succès qu’il a afin qu’un grand nombre de personnes très éloignées pour des raisons diverses de ces réalités puissent les « palper », les ressentir et j’espère, mieux les comprendre.
Quelles ont été les réactions des habitants de Montfermeil lors de la projection en avant-première ?
Ce sont plus de 600 personnes qui ont assisté à la projection en présence de Ladj Ly, personnes venant de tous les quartiers de la ville et de toute génération. Aucune n’en est sortie indemne, et souvent, en pleur. Pour les personnes ayant habité, ou habitant toujours, la résidence des Bosquets, cela rappelait de très forts souvenirs. C’était l’émotion de la nostalgie et la prise de conscience du chemin parcouru depuis. Pour les personnes du pavillonnaire, plus éloignées de ces faits, ne serait-ce que de quelques centaines de mètres, ce fut un choc de par la violence exprimée. J’ai dû leur dire : « Oui ,ce que vous avez vu a réellement existé ». Au–delà de ces ressentis très différents, il n’y avait ce soir-là qu’un seul et même public.
Lire aussi : Les misérables, notre critique
La cartographie des forces en présence de votre ville que le réalisateur met en scène, assez brillamment d’ailleurs, est-elle juste ?
Cette cartographie correspond à la période des années 1980-1995. D’ailleurs, certains faits comme le vol du lionceau et la bavure ont vraiment eu lieu, mais il y a une vingtaine d’années. Ce qui ne veut pas dire que les pouvoirs publics n’avaient pas entrepris de vastes opérations de rachat des immeubles en co-propriété, de réhabilitation, mais la présence des services publics, de la chose publique, était tout de même marginale. Au moment des émeutes en 2005, il y avait en termes éducatif, de loisir, de formation, de sécurité, de services publics tout court, une offre déjà appréciable. Mais, les conditions de vie au regard de dégradation du bâti ne permettaient pas leur appropriation. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les habitants ayant par la restructuration/ reconstruction de l’habitant retrouvé dignité et fierté peuvent s’identifier à la totalité de ce qui a été fait.
Pour la question plus particulière des forces de l’ordre, la construction d’un commissariat à proximité, les fortes améliorations du mode opératoire des forces de l’ordre, le rôle très important joué par le délégué cohésion Police-population, l’intense réseau partenarial de prévention et de lutte contre la délinquance, le travail de nos éducateurs rendent les interventions de la police compréhensibles voire attendues. Cela n’a plus rien à voir avec que cela a pu être, tel que décrit dans le film.
Vous dites qu’il décrit une réalité des années 1980-1995, pourtant le film débute par la victoire de l’équipe de France de football au mondial 2018…
S’il y a quinze ans ces images pouvaient être tournées à Montfermeil, aujourd’hui plus une ne le pourrait. Lorsque je dis que le film est vrai, c’est que tout ceci a bien existé il y a quinze ans à Montfermeil et existe encore ailleurs en raison d’un travail global qui n’a pas encore été fait.
Les enjeux sont avant tout d’ordre culturel et je reproche aux pouvoirs publics de l’avoir totalement nié
Les Misérables offre une nouveauté, la mise en scène de la très jeune délinquance. Est-ce le cas ?
En effet, la très jeune délinquance est montrée et c’est le fait marquant de ces dernières années. Des dispositifs ont été inventés afin d’intervenir en direction des jeunes et de leurs familles à la première alerte. Peu ont récidivé, il nous reste néanmoins un noyau dur de « multi-réitérants ». Sur quelques événements particuliers, hélas relayés par les réseaux sociaux, l’on peut de manière très soudaine et sporadique avoir une forme de désordre public. Ce phénomène de rajeunissement nous a poussé à rebâtir toutes nos politiques éducatives de la crèche (la naissance) jusqu’à la mission locale (25 ans). Avec de bons résultats. Et en matière de délinquance et de niveau scolaire.
On retrouve une vision renoirienne (Chacun a sa raison), mais il manque un personnage, le politique qu’on devine aux yeux du réalisateur responsable de tous les maux. « La responsabilité première incombe aux politiques », déclare-t-il. En tant que maire de Montfermeil depuis trois mandats, comment le prenez-vous ?
Je souscris totalement à votre propos quant à la vision renoirienne. Mais quant à son appréciation sur les hommes politiques, ou mieux l’intervention de politiques dans ce quartier, ce n’est pas soutenable dès lors que les élus se sont saisis de toutes les opportunités qu’offraient l’Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain (ANRU) et l’Agence pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances (ACSE). C’est là un point de désaccord avec Ladj Ly qui considère que rien n’a été fait et que rien n’a changé. Je porte au crédit de ce film de pouvoir sensibiliser en profondeur nos concitoyens à cette problématique des « quartiers », mais je récuse le fait qu’aucune action n’y a été menée et qu’aucun résultat n’y a été enregistré. Pour autant les résultats obtenus restent particulièrement fragiles et menacés.
Si vraiment rien n’avait été fait, il serait incompréhensible que des personnes issues de ce quartier aient souhaité et soient dans l’équipe municipale. Mais d’un point de vue de politique globale, je partage l’avis de Ladj Ly : les politiques gouvernementales successives ont leur part de responsabilité en ayant pris pour des causes les problématiques sociales, économiques et urbaines alors qu’elles ne sont que des conséquences. Les enjeux sont avant tout d’ordre culturel et je reproche aux pouvoirs publics de l’avoir totalement nié.
Le réalisateur a interpellé plusieurs fois le président Macron, qui d’ailleurs lui a répondu, preuve de sa volonté de faire un film à message. Un message confirmé dans ses déclarations : « Comment les politiques pourraient solutionner nos problèmes, alors qu’ils ne nous connaissent pas, ne savent pas comment nous vivons, quels sont nos codes ». Qu’en pensez-vous ?
Pour répondre à votre question, je ferai le détour par la question de la maîtrise voire de la non maîtrise de la langue française par des personnes qui habitent en France depuis 10, 15 voire 25 ans. J’en conclus deux choses : quel manque de curiosité de leur part et quel manque d’exigence de la notre. Aussi avons-nous des situations telles que décrites dans le film à prendre en compte. Encore une fois, j’ai la prétention de dire que les enjeux dans nos quartiers ne sont ni sociaux, ni économiques, ni urbains mais avant tout d’ordre culturel. C’est la raison pour laquelle si je devais résumer en un mot la politique menée à Montfermeil, cette dernière consiste à faire connaître, à faire respecter et à faire aimer la France.
Lire aussi : Cette supercherie intellectuelle qu’est l’idéologie décoloniale
Le film ne montre que le versant négatif. Rien sur ce que vous avez mis en place, rien sur le Cours Alexandre Dumas, rien sur la rénovation de l’habitat… Cela vous surprend-il ?
Si nous assignons à ce film son rôle de lanceur d’alerte, il eût été dommageable de laisser le téléspectateur penser que finalement les solutions avaient été trouvées. C’est bien ce que je reproche également aux pouvoirs publics, c’est d’avoir méconnu les enjeux culturels et d’avoir privé ainsi d’une véritable efficience les politiques mises en place à grand renfort de moyens. Considérons donc que le film permettra peut-être aux pouvoirs publics de reconsidérer leur point de vu.
Si le film offre de vraies qualités cinématographiques et bien plus de nuances et de profondeurs que nous donnent à voir habituellement les films de « banlieue », la police reste coupable et rien n’a changé, ni le climat, ni la position victimaire…
Prendre cette question sous l’angle de la victimisation me semble être une approche binaire sur laquelle personne ne peut ni avancer ni construire. Peut-on considérer qu’une personne est toujours obligée d’obéir à la loi et donc aux institutions ? Et peut-on considérer que lorsque ces mêmes institutions ont failli dans leurs responsabilités, vis-à-vis de ces mêmes personnes, un non-respect de la loi ne peut-il bénéficier, néanmoins, de circonstances atténuantes ? Formulation peut être incomplète et vaste sujet. À titre personnel, dans l’exercice des prérogatives que donnent un mandat de maire, je tente toujours de vérifier que les institutions au sens large aient bien apporté, mis à disposition des personnes, le minimum nécessaire à leurs légitimes besoins, ce qui me permet de proportionner en cas de manquement la sanction éventuelle.
La réponse du président Macron vous a-t-elle surpris ? Il ne propose rien mais demande à son gouvernement d’y travailler. Y voyez-vous une stratégie électorale à la veille des élections municipales ?
Je garde un fort mauvais souvenir de la manière dont Jean-Louis Borloo s’est fait humilier à l’Elysée et du choix de personne ambigu pour conseiller le Président de la République sur ces questions. Par ailleurs, j’observe une grande brusquerie, voire brutalité, dans le traitement d’un certains nombres de questions telles que les lois de bio-éthiques, les Gilets jaunes… Je ne voudrais pas que cette question des banlieues soit traitée comme bien d’autres questions qui concourent à la dislocation de notre pays.
Propos recueillis par Arthur de Watrigant
[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]