Le libéralisme est d’abord une remise en cause du système holiste qui prévalait du temps de la Chrétienté. Né sur les décombres de celle-ci, il remplace la recherche du salut et de la vérité par le règne du droit et du marché.
Le libéralisme est un mot éminemment piégé, tant en raison de la multiplicité de ses champs d’application (philosophique, politique, économique, culturel) que de la diversité de ses déclinaisons philosophiques et historiques. Il est utilisé pour caractériser des thèses et des conceptions parfois fort différentes voire opposées, ayant néanmoins toutes un esprit de famille exprimant quelques principes communs.
Si l’on ajoute que le libéralisme se confond quasiment avec ce que l’on appelle la modernité et qu’à ce titre il est un des éléments majeurs de l’esprit de notre époque, on peut être intimidé à l’idée de l’objectiver et a fortiori de l’évaluer. Il me semble qu’une perspective pertinente est de partir de ce à quoi renvoie nominalement le libéralisme, à savoir la liberté. Il est en effet une certaine manière de comprendre et de faire usage de la liberté humaine. Mais comme celle-ci a précédé l’émergence du libéralisme, il faut s’enquérir de la genèse de cette liberté libérale et pour cela chercher à comprendre en réaction à quoi et dans quel contexte elle est apparue.
S’émanciper de la vérité
Le libéralisme est né de la décomposition de la chrétienté. Seule la compréhension des problèmes théologiques auxquels le libéralisme prétend être une solution permettra donc d’appréhender celui-ci. La liberté chrétienne est fondée sur l’accueil de la vérité : « La vérité vous rendra libres », dit Jésus (Jean 8, 32). Cette vérité est mesurée ultimement par Dieu, Créateur de l’ordre naturel et humain, accessible à la droite raison, et elle est révélée par le Christ, venu apporter le vrai bien aux hommes : le salut. Le salut et la vérité sont communiqués par l’Église fondée sur l’autorité même du Christ qui répand sa vie même par l’ordre sacramentel.
L’Église est donc la médiatrice du salut et la liberté est le fruit de la libération du péché apportée par le Christ. La grâce divine permet à la liberté de se déployer en s’ordonnant au vrai bien humain, ordination fondée sur l’obéissance à la loi naturelle et divine dont la mesure prochaine est l’Église. Le libéralisme est né de la contestation de cette médiation ecclésiale et ce sur deux fronts, religieux et politique, les deux profondément intriqués.
Que ce soit dans la polémique entre l’empereur et le pape au XIVe siècle, dans laquelle le franciscain Guillaume d’Occam développe une doctrine atomisant la respublica christiana (le nominalisme) ; que ce soit au XVIe siècle dans les écrits de Machiavel critiquant l’ingérence du christianisme dans la vie des cités ; ou encore, bien sûr, dans ceux de Luther qui enracine le salut dans la certitude de la foi – c’est-à-dire dans la subjectivité à laquelle Dieu est présent sans la médiation objective de la hiérarchie sacramentelle – c’est massivement que l’Église comme médiatrice du vrai bien et à ce titre rectrice de la liberté est rejetée.
Cette contestation bénéficie à ce qui est en train de devenir, par ce mouvement même, l’État souverain. Celui-ci s’affirme ainsi le vecteur central de ce nouveau monde humain libéré de la tutelle ecclésiastique quant à la vérité sur le bien ultime. Que ce soit chez Bodin ou ensuite chez Hobbes, la notion moderne de souveraineté est un levier permettant au pouvoir politique de s’émanciper de toute autorité spirituelle, antérieure et supérieure à lui. La volonté des légistes royaux d’établir une monarchie se prétendant de droit divin est ainsi le moyen le plus efficace de refuser de dépendre du droit ecclésiastique. C’est paradoxalement dans le devenir de ce concept de souveraineté que la liberté libérale va se constituer.
L’État et l'individu
Désarrimée de son assise théologique et ontologique, la liberté humaine va se structurer dans la division entre deux pôles rivaux, c’est-à-dire opposés et complémentaires : l’État et l’individu. Ainsi à la souveraineté de l’État chez Hobbes va répondre la souveraineté de l’individu propriétaire de lui-même chez Locke. (...)
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