C’est dans un hémicycle clairsemé que le coup d’envoi des débats sur l’euthanasie a été donné le 27 mai. De la ministre de la Santé Catherine Vautrin à Sandrine Rousseau, personne ne semble savoir de quoi il est question. Du moins, aucun n’ose le nommer. Tous ont recours à des termes brumeux : « fin de vie », « aide à mourir », « ultime liberté ». Ces mots, fuyant l’inéluctable vérité, illustrent la manipulation sémantique à l’œuvre dans ce projet de loi dont l’objectif est clair : la création d’un permis de tuer.
« Aide à mourir » contre « rupture anthropologique »
Au perchoir, aucun n’a donc osé qualifier la vocation fondamentale de l’euthanasie, qui n’est autre que de donner la mort, ce qu’a rappelé Sandrine Dogor-Such (RN) : « L’euthanasie n’est pas une aide à mourir mais fait mourir, les mots comme suicide assisté et fin de vie ne sont en réalité employés que pour lever la charge émotionnelle qu’incombe cette loi. » Pourtant, plusieurs députés ont osé parler d’un acte « d’humanité » et de « respect ». Olivier Falorni, rapporteur de la commission spéciale (Modem), ira jusqu’à qualifier de fraternel ce projet de loi : « Nous avons à écrire une grande loi de fraternité – la fraternité d’accompagner chacun jusqu’au bout du chemin. » Lui et plusieurs autres députés ont même assimilé l’euthanasie au fait « d’aimer la vie ». À grands coups de témoignages personnels, comme Sandrine Rousseau qui a rappelé avoir accompagné sa mère lors de son suicide, les députés ont tenté d’adoucir la charge symbolique de cette loi qui n’a d’autre but que d’injecter une substance létale à un humain, faute de moyens pour amoindrir ses souffrances physiques.
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À la droite de l’hémicycle, les députés des groupes Les Républicains et Rassemblement national ont quant à eux dénoncé une « rupture anthropologique grave » qui ferait des plus faibles les nouvelles victimes d’une société individualiste. Ils ont rappelé que cette loi placerait les personnes malades et souffrantes dans une situation très inconfortable, qui les obligerait presque à s’excuser de leurs pénibles conditions. Une loi d’autant plus dangereuse qu’elle sera votée dans un contexte de manque de moyens du système de santé : comme le rappelle Alexis Jolly (RN), « les professionnels que j’ai rencontrés sont unanimes : lorsque l’on propose un traitement adapté et un soulagement des souffrances au malade, son désir de mourir disparaît ». Laure Lavalette a quant à elle provoqué la colère des autres élus en dénonçant « une loi qui va tuer » : « Quand une personne arrive à l’hôpital, tout est fait pour l’empêcher de mourir alors que sa liberté était de mourir. Soyez cohérent » Et de conclure : « En faisant croire que vous respectez l’ultime liberté, vous piétinez la politique de prévention du suicide. » Le député LR Patrick Hetzel a rappelé ses collègues à la raison : « Revenons collectivement à la raison avant de commettre l’irréparable. »
Union des droites et progressisme à vitesse variable
Depuis le début de l’examen du texte, on observe sans surprise que la majorité des députés de gauche sont favorables à la légalisation de « l’aide à mourir ». Pour ces derniers, l’euthanasie est une liberté individuelle et universelle à laquelle tout le monde devrait pouvoir recourir.
Certains députés font même un lien entre droit à mourir et avortement, à savoir la possibilité de disposer de son corps librement du début jusqu’à la fin de sa vie. Néanmoins, certains députés du PCF et du Parti socialiste ont exprimé leur désaccord. Dominique Potier (PS) considère que cette loi est une « dérive du progressisme » et voit dans l’euthanasie non un progrès mais une menace pour le respect de la vie humaine. Avec quelques autres communistes dont le chef de groupe André Chassaignes (« J’ai la certitude que je ne voterai pas ce projet de loi sur la fin de vie »), Pierre Dharéville (PCF) a lui manifesté son opposition tant dans l’hémicycle qu’auprès du Figaro, déclarant qu’il n’est pas question de « liberté absolue lorsque l’on est au moment le plus vulnérable de sa vie » et rappelant que la dignité ne disparaît pas avec l’apparition d’un handicap ou d’une maladie dégénérative, contrairement à ce que laisse entendre le projet de loi.
La macronie est quant à elle sur la réserve. Certains députés ne sont pas fondamentalement opposés à l’euthanasie, mais sont contre le texte de loi très élargi sorti de la commission. Plusieurs élus ont dénoncé les inexactitudes et les confusions dans les termes employés. Pour beaucoup, la loi est excessive et exclut presque le possible recours à des soins palliatifs. C’est le cas d’Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance) qui a été claire sur le sujet en disant qu’ « en l’état, [elle]ne [voterait] pas le texte sur la fin de vie. » On sait par ailleurs, comme le relatait un article du Figaro, que plusieurs députés de l’aile droite de Renaissance ont rencontré Jean Leonetti, maire d’Antibes et co-rapporteur de la loi sur la fin de vie en vigueur depuis 2005, rencontre de laquelle ils sont sortis très sceptiques sur le texte de loi actuellement débattu. C’est sans nul doute ces divisions au sein de la majorité qui pourrait permettre un rejet du texte lors du vote final.
La macronie est quant à elle sur la réserve. Certains députés ne sont pas fondamentalement opposés à l’euthanasie, mais sont contre le texte de loi très élargi sorti de la commission.
Les droites font quant à elle l’union sacrée contre le texte, hormis quelques exceptions. Rien d’étonnant du côté de LR, souvent au rendez-vous sur ce genre de sujet. Le RN au contraire, d’ordinaire timide sur les questions de société, s’est montrée très vindicatif depuis la première séance, en témoigne la passe d’armes opposant Laure Lavalette à l’insoumise Danielle Simonne. En interne, il semblerait que l’aile conservatrice, après avoir été flouée lors du vote sur la constitutionnalisation de l’IVG, jouisse d’une plus grande latitude pour s’opposer au texte.
Des débats tendus à venir
Une des questions principales qui seront discutées ces prochains jours concernera l’éligibilité à l’euthanasie. Les députés devront notamment choisir entre « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » (version gouvernementale recalée en commission) et « maladie en phase avancée ou terminale » (version élargie). Cette distinction est essentielle pour déterminer si les personnes atteintes de maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer ou la Sclérose latérale amyotrophique (SLA) pourraient bénéficier de cette aide. Les partisans d’une définition plus large soulignent que les patients atteints de maladies neurodégénératives souffrent de manière prolongée et que leur inclusion respecterait mieux le principe d’égalité devant la loi. En revanche, ceux qui préconisent des critères plus restrictifs craignent que cela ne conduise à des abus et à une extension incontrôlée de l’aide à mourir.
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Les députés devront aussi déterminer si l’aide à mourir doit inclure, et à quelles conditions, la possibilité pour une personne de recevoir une assistance pour mettre fin à ses jours. Les modalités de cette assistance, notamment la présence obligatoire ou non d’un soignant, ont été longuement discutées lors de la première semaine sans qu’une décision ne soit prise. Reste à voir si une réponse précise sera apportée cette semaine. Certains députés plaideront certainement pour la nécessité de garantir un accompagnement médical afin de s’assurer du respect des protocoles. D’autres risquent d’arguer qu’une trop grande rigidité dans les conditions pourrait limiter l’accès à l’aide pour ceux qui en ont le plus besoin, notamment dans des situations où un encadrement médical strict pourrait être difficile à organiser.
Les questions relatives à l’objection de conscience pour les soignants, aux dispositifs d’accompagnement des familles et à l’ouverture ou non aux mineurs seront également abordées, au cours d’une semaine législative qui s’annonce explosive.