Pourquoi avoir choisi d’organiser ce colloque au Parlement européen plutôt qu’à l’Assemblée nationale ?
Marion Maréchal : Nous aurions pu organiser cette rencontre à Paris, bien sûr. Mais nous avons voulu inscrire notre démarche dans une perspective européenne. Car ce qui est frappant, c’est que tous les pays ayant légalisé l’euthanasie ont suivi le même schéma : un discours compassionnel pour restreindre l’acte à des situations extrêmes – fin de vie, souffrance incurable –, puis une extension inexorable du cadre. Aujourd’hui, au Canada ou en Belgique, on euthanasie des dépressifs ou des handicapés. Il fallait entendre ce témoignage québécois pour comprendre que cette dérive n’a rien d’hypothétique : elle est inscrite dans le logiciel idéologique du texte.
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Laurence Trochu : Et ce texte français est d’autant plus inquiétant qu’il est flou. Il pourrait concerner plusieurs millions de personnes : les diabétiques, les personnes âgées, les dépressifs. Tout est dans l’interprétation. Et, comme toujours, les promoteurs de cette « avancée » reconnaissent eux-mêmes que ce n’est qu’un premier pas. L’objectif est d’enfoncer la porte, de rompre l’interdit de donner la mort, pour ensuite élargir année après année le champ des bénéficiaires.
Ce discours compassionnel qui structure le débat public sur l’euthanasie est-il une manipulation ?
Laurence Trochu : Il y a une véritable opération orwellienne. La dignité, mot-clé du projet, est instrumentalisée. Car que signifie « mourir dans la dignité » ? En creux, cela signifie que les opposants à l’euthanasie seraient les bourreaux, les partisans d’une mort indigne. C’est un chantage moral. Et on présente cela comme s’il n’existait pas d’autre voie que mourir ou souffrir. Comme si la médecine contemporaine était impuissante. En réalité, c’est une vision très rétrograde de la fin de vie.
Marion Maréchal : C’est d’autant plus cynique que l’on cache la réalité des soins palliatifs. 94 % des soignants spécialisés sont opposés à l’euthanasie. 30 % d’entre eux disent qu’ils démissionneront si la loi passe. Cela devrait suffire à alerter. Mais ces soignants sont réduits au silence, invisibilisés. Et dans le même temps, les témoignages médiatisés montrent des familles souriantes, presque euphoriques, qui emmènent « papi » mourir en Belgique. Il y a une orchestration évidente.
Le processus vous semble-t-il comparable à celui du mariage pour tous ?
Laurence Trochu : Oui, à ceci près qu’aujourd’hui, si vous le dites, vous êtes immédiatement taxé de complotisme. Pourtant, la logique est la même : une minorité militante impose un changement anthropologique sous couvert de liberté individuelle. L’euthanasie n’est pas une dérive : elle est en soi une rupture avec l’idée de soin.
C’est une loi pour les pauvres. Pour les oubliés, les abandonnés. Pour ces millions de Français sans médecin traitant, pour ces femmes âgées de la diagonale du vide, isolées dans des EHPAD indignes.
Marion Maréchal
Marion Maréchal : Tout se joue autour de la définition de l’homme. L’humanité n’est plus définie par la relation, la vulnérabilité, mais par l’autonomie. Le projet de loi acte ce changement. Et ce n’est pas qu’un choix individuel : c’est un signal envoyé à toute la société. Une personne vulnérable comprend qu’elle est devenue « indigne », que sa vie coûte plus qu’elle ne vaut.
La pauvreté n’est-elle pas un facteur déterminant dans ce débat ?
Marion Maréchal : Absolument. C’est une loi pour les pauvres. Pour les oubliés, les abandonnés. Pour ces millions de Français sans médecin traitant, pour ces femmes âgées de la diagonale du vide, isolées dans des EHPAD indignes. Le vrai choix, pour elles, n’existe pas : c’est la souffrance ou la mort. Et à cela, on appelle « liberté ». Mais où est la liberté quand le soin est inaccessible ?
Laurence Trochu : Et que dire du délai de rétractation ? Quarante-huit heures. Moins que pour un achat en ligne. Moins que pour une opération de chirurgie esthétique. Et la famille n’est pas forcément informée. Elle peut apprendre que son proche est mort sans même avoir été consultée. Et si elle tente d’intervenir ? Ce sera un délit d’entrave. Voilà le monde qu’on nous propose.
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Pourquoi cette loi ne soulève-t-elle pas les foules comme d’autres sujets de société auparavant ?
Marion Maréchal : D’abord parce que tout est allé très vite. Il n’y avait pas de demande sociale. C’est le produit d’un marchandage politicien pour fabriquer une majorité parlementaire. Ensuite, parce que nous vivons dans une société déchristianisée, sans horizon transcendant. La mort est devenue une question de confort, de gestion. Et la liberté individuelle est devenue la valeur cardinale. Mais cette liberté est celle des bien-portants. Les malades, eux, savent que la vie est plus forte.
Laurence Trochu : Il y a aussi une forme de lassitude. Lors des grandes manifestations contre le mariage pour tous, les Français ont été méprisés, ignorés. Aujourd’hui, ils ont l’impression que la décision est déjà prise. Mais nous avons le devoir de parler. De porter la voix de ceux qui n’ont plus voix au chapitre. Car la politique, c’est le soin du commun, le service du plus fragile.