La période moderne a vu le remplacement du régime héroïque par le régime victimaire. Ce ne sont plus les hauts faits qui sont distingués mais les victimes, en proportion des horreurs qu’elles ont subies. Ce sont elles, bien que là involontairement et passivement, et alors que personne ne voudrait embrasser leur condition, qui fascinent, parce que leurs souffrances nous sont inexplicables, et par-là intolérables. Premier paradoxe : l’ère de la victime met en lumière l’action du Mal, mais n’a jamais été si peu capable de le comprendre. Leur malheur n’a aucun sens ; elles ont vécu un martyre sans être martyrs. D’où leur sacralité : elles sont les élues d’un Mal qu’on avait promis de faire disparaître. Victimes expiatoires de notre cheminement vers le paradis terrestre, elles deviennent forces motrices du progrès, dont elles montrent l’inachèvement. On célèbre les damnés de la terre pour confesser notre incomplétude collective. À chaque fois, la « der des ders ». Second paradoxe : on révère les victimes car on rêve d’un monde où elles n’existeraient plus. [...]
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