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Maître Louis Heraud « La loi Avia est incontestablement une menace pour les libertés individuelles »

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Publié le

15 juillet 2019

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La proposition de loi contre les contenus haineux sur internet (dite loi Avia ) a été adoptée par L’Assemblée Nationale le 9 Juillet 2019. Elle devrait être soumise au vote du Sénat en Janvier 2020. Bien qu’elle ne soit qu’au stade de proposition de loi, la loi Avia est déjà très controversée, beaucoup  y voient une atteinte à la liberté d’expression. Maître Louis Heraud, avocat à la Cour, nous explique pourquoi il considère la loi Avia comme étant  liberticide. 

 

 

L’entrée en vigueur de la loi Avia constituerait-elle une menace pour les libertés individuelles (en particulier pour la liberté d’expression) ? Si oui, pourquoi ?

 

Entendons-nous bien, la finalité de cette proposition de loi est louable car les réseaux sociaux sont anarchiques. Mais si elle entre en vigueur en l’état, c’est incontestablement une menace pour les libertés individuelles car elle pourrait entrainer une déjudiciarisation du contrôle de la liberté d’expression. Pour rappel, sa principale mesure tend à imposer aux plateformes de réseaux sociaux et moteurs de recherches (les opérateurs) de supprimer dans un délai de 24h, sur dénonciation (par un simple clic sur un bouton) tout contenu « manifestement illicite » comportant une incitation à la haine ou une injure à raison de l’ethnie, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle etc… 

Or, qui a en principe le pouvoir d’apprécier ce qu’est un contenu « manifestement illicite » comportant une telle incitation à la haine et sanctionner l’auteur des propos ? Constitutionnellement, c’est le juge judiciaire, qui est garant des libertés individuelles. En fait, si elle est adoptée, cette loi permettrait de demander à une personne privée (ndlr: l’opérateur) d’apprécier et de dire ce qui est « manifestement illicite » au regard de la loi et donc de se substituer au juge. Sur les réseaux sociaux, on pourrait ainsi basculer d’un système de contrôle a posteriori de liberté d’expression, constitutionnellement dévolu à la Justice étatique, à un système préventif et restrictif, confié à un opérateur privé.

 

« Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est sœur jumelle de la liberté »

 

De plus, l’un des objectifs de cette proposition de loi est d’assouplir les règles procédurales et formelles très strictes qui encadrent la procédure actuelle de notification de contenus illicites sur internet, prévue par la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004. L’idée étant de pouvoir faire supprimer très rapidement les propos haineux en moins de 24h. Mais ce que les parlementaires semblent oublier, c’est que le formalisme n’est pas seulement une coquetterie juridique; ce qui est vu comme un obstacle à la dénonciation est en fait une garantie des droits fondamentaux. « Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est sœur jumelle de la liberté » expliquait Ihering. En se débarrassant peu à peu de tout formalisme sous prétexte de rapidité, on s’avance dangereusement vers l’arbitraire.

D’ailleurs, il y a une comparaison qui est mise en avant par les parlementaires de la majorité pour essayer de justifier médiatiquement cette mesure : ce qui serait intolérable sur la place publique devrait également l’être sur les réseaux sociaux. Tout le monde est d’accord là-dessus. Mais sauf que si quelqu’un tient des propos injurieux à votre égard sur la place publique, il en répondra devant les tribunaux et vous devrez respecter des règles procédurales extrêmement strictes : vous n’allez pas simplement appuyer sur un bouton pour faire sanctionner leur auteur. Les tentatives de réglementation des réseaux sociaux ne doivent pas se faire au détriment de libertés fondamentales, telle que la liberté d’expression.

 

Lire aussi: Le dernier éditorial de Jacques de Guillebon :  Croisons nous

 

La liberté d’expression pourra t-elle être également menacée par les GAFA? Cette loi dispose que ceux-ci ne pourront pas être poursuivis pour « censure abusive ». Ils pourront donc supprimer des publications d’utilisateurs sans justification 

 

Ce n’est pas tout à fait exact. La proposition de loi ne prévoit pas expressément une impunité pour les opérateurs : le CSA doit même surveiller le comportement excessif ou insuffisant de l’opérateur en matière de retrait.

En revanche, en cas de refus de retrait, l’opérateur s’exposerait à des poursuites pénales et à une amende administrative infligée par le CSA, pouvant atteindre 4% de son chiffre d’affaires mondial. Les opérateurs privés (moteurs de recherches et réseaux sociaux) étant par nature mus par des intérêts privés et par une recherche de profit, ils chercheront nécessairement à minimiser le risque de sanctions financières. Ils risquent donc effectivement de faire un excès de zèle dans la censure. Tandis que le juge, qui rend la justice au nom du peuple français, est censé avoir le souci de l’intérêt général.

 

On a déjà vu Facebook censurer un tableau de Courbet. Si l’on suit cette logique, Montherlant pourrait être jugé misogyne, Audiard raciste et Brassens homophobe !

 

En outre, on peut se poser la question : Qui, chez Facebook, Twitter (…) va contrôler le caractère manifestement illicite des contenus ? Soit un algorithme, soit des étudiants ubérisés à l’autre bout du monde, parlant assez mal Français. Je ne suis pas certain que ces personnes soient accessibles aux subtilités de la culture française. Par exemple, on a déjà vu Facebook censurer un tableau de Courbet. Si l’on suit cette logique, Montherlant pourrait être jugé misogyne, Audiard raciste et Brassens homophobe ! Tous ces artistes pourraient être potentiellement censurés sur simple dénonciation et nous risquons d’être de moins en moins Charlie ! En ce qui concerne les algorithmes, je ne suis pas sûr non plus qu’ils sachent discerner le caractère ironique, caricatural ou parodique d’une publication. Alors que les magistrats spécialisés des chambres de presse sont très familiers avec ces notions abondamment développées par la jurisprudence française.

 

Lire aussi: Aie confiance : Laëtitia Avia et Mark Zuckerberg se chargent de tout

 

Un utilisateur d’internet qui verrait certaines de ses publications supprimées en raison de cette loi aurait t-il des possibilités de recours pour faire annuler cette décision ?

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la proposition est très évasive sur cette question. La loi imposerait seulement à l’opérateur de mettre en place un dispositif permettant à l’utilisateur de la plate-forme de contester la décision de retrait. Elle imposerait également d’informer clairement l’utilisateur des voies de recours « internes » et judicaires. Mais les modalités de ces recours ne sont pas détaillées. L’idée d’avoir au sein des plateformes numériques une sorte de juridiction interne qui examinerait d’éventuels recours d’utilisateurs suite à la suppression de contenus est en train de germer. Il reviendrait aux opérateurs de mettre en place ce type de « juridiction ». Mais en l’état la proposition est très imprécise sur le sujet.

La loi créerait également un délit de dénonciation abusive, qui vise à limiter les dénonciations non fondées. 

Quoiqu’il en soit, on voit bien que le recours de l’utilisateur contre un retrait de ses contenus préoccupe assez peu le législateur. Il y a une sorte de présomption de culpabilité et les droits de la défense sont aussi les grands absents de cette proposition de loi.

 

N’importe qui va pouvoir dénoncer mais n’importe qui aussi va peut-être voir ses propos censurés là où il ne s’y attendait pas du tout.

 

Cette loi ne renforcerait t-elle pas le pouvoir des citoyens en leur donnant la possibilité de signaler des contenus haineux sur Internet et ainsi entrainer leur suppression ?

 

Oui, d’une certaine manière, mais cela dépend de ce que l’on recherche : les citoyens auront peut-être l’impression que leur pouvoir est renforcé parce qu’ils peuvent appuyer sur un bouton. Mais si on donne un tout petit peu de pouvoir d’un côté et que de l’autre côté on reprend beaucoup de libertés individuelles, je ne pense pas que le citoyen y trouve son compte. N’oubliez pas qu’on va demander aux plateformes de déterminer elles-mêmes si des publications sont « manifestement illicite » ou non, sur simple dénonciation. Or, chacun peut avoir sa propre appréciation de tel ou tel propos. Par exemple, le débat sur la PMA va avoir lieu prochainement : Est-ce que des propos tenus et diffusés par certains pourront être considérés comme injurieux en raison de l’orientation sexuelle par d’autres ? N’importe qui va pouvoir dénoncer (ce qui n’est déjà pas réjouissant en soi) mais n’importe qui aussi va peut-être voir ses propos censurés là où il ne s’y attendait pas du tout.

 

 

Lire aussi: Agnès Thill : “L’éviction du père pose un problème éthique”

 

 

L’idée de lutter contre la diffusion de propos haineux sur Internet peut pourtant paraitre légitime. Selon vous que faudrait t-il faire pour lutter contre la publication de tels propos sans pour autant porter atteinte à la liberté d’expression ?

 

Je pense qu’au fond, l’esprit de cette proposition de loi est assez sain. Comme je vous l’ai dit, il existe déjà des dispositions légales permettant de faire censurer des propos haineux. Elles sont effectivement très difficiles à mettre en œuvre, notamment à cause de l’anonymat.

Mais, aujourd’hui, il est possible de faire condamner quelqu’un pour incitation à la haine sur Internet. On en a eu une illustration récente avec le Tribunal correctionnel de Paris qui vient de condamner un étudiant qui avait insulté et menacé de mort Zineb El Rhazoui, ancienne journaliste de Charlie Hebdo. Certes cela a pris du temps. Mais dès lors qu’on touche à la liberté d’expression, la réponse doit être impérativement judiciaire. Malheureusement, les chambres et magistrats spécialisés en matière de presse sont peu nombreux et manquent cruellement de moyens. Mais là encore, l’Etat abandonne sa mission régalienne au profit d’opérateurs privés, dans un souci d’économie.

Vous noterez d’ailleurs que le gouvernement s’occupe assez peu de cette question et laisse entièrement place à l’initiative des parlementaires, qui eux-mêmes, demandent finalement aux GAFA de faire le travail.

Après, au-delà de la question des réponses judiciaires à apporter à des propos haineux, c’est surtout celle de la responsabilisation de chacun des utilisateurs des réseaux sociaux qui se pose. Il faut également éduquer et sensibiliser les utilisateurs plutôt qu’apporter, sans aucun contrôle judiciaire, une réponse arbitraire et rapide au moindre propos déplaisant.

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Propos recueillis par Carmen Maurath

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