Péguy disait : « Une revue n’est vivante que si elle mécontente chaque fois un bon cinquième de ses abonnés » et que « la justice consiste seulement à ce que ce ne soient pas toujours les mêmes qui soient dans le cinquième ». C’est ce que nous allons expérimenter ici, en parlant de rap, d’opéra et de prison. Alors qu’il s’était fait connaître du grand public en convainquant Maître Gims de reprendre Bella Ciao, en vogue grâce à la série espagnole La Casa de papel, rien ne prédisposait Naestro à se retrouver sur les planches de l’opéra.
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« Je suis passé par le karaté, puis les MMA où j’ai été vice-champion du monde il y a une dizaine d’années. Puis, à la suite d’une affaire de drogue, je me suis retrouvé en prison, enfermé avec un Italien qui purgeait une peine pour meurtre. Je ne juge pas, mais ça fait un choc. Un jour, alors que j’étais dans la cour de la prison, j’essaie de capter son attention, en lui lançant les trois mots d’italien que je connaissais, à savoir “O sole mio”, que j’ai vocalisés comme un chanteur d’opéra. À ce moment arrive le directeur de la promenade, qui demande qui a fait ça. Pensant que j’allais me faire engueuler, je me suis dénoncé, en n’en menant pas large. Il s’avère qu’il était fan d’opéra, et me donne deux jours après des disques de Pavarotti. Et là, ça a été le déclic, je suis tombé amoureux de l’opéra italien. J’ai encore ces CDs, et la chance que j’ai eue c’est que j’avais la traduction des morceaux grâce à mon compagnon de cellule. L’opéra est devenu une passion. Je ne peux plus passer une journée sans musique », nous révèle-t-il, ajoutant qu’il n’est pas très touché par le côté allemand de l’opéra. « Je suis un enfant du sud, des accents chantants. L’allemand est trop guttural pour moi ». Son coup de cœur est Puccini, mais il aime aussi Verdi, et, en règle générale, les maîtres italiens du genre.
Opéra urbain
Après sa sortie de prison, Naestro est révélé par le télécrochet « La France a un incroyable talent », qui lui a permis d’être « vu, connu, et reconnu ». Cependant, il est lucide : « Ce n’est qu’un tremplin, après il faut travailler ». Et du travail, Naestro (contraction de son prénom, Nabil, et de maestro, « celui qui est habile dans ce qu’il fait ») en abat. En décembre dernier, il sortait une reprise « urban opéra » d’E Lucevan Le Stelle de Puccini, son compositeur favori, dans laquelle il mélange chant opératique et trap rugueuse. « Cette chanson est mon air d’opéra préféré. Mais je chantais les notes les plus hautes. Les basses m’ennuyaient un peu. Alors j’ai eu l’idée d’inviter un rappeur pour interpréter cette partie. Mais mon manager m’a demandé si je savais rapper et m’a proposé de poser mon flow sur ces passages. Et c’est comme ça qu’on a créé l’urban opera. »
La musique comme ultime combat
Mais pourquoi ne pas rapper en chantant, au lieu d’alterner les deux ? « Je viens d’enregistrer un morceau qui devrait bientôt sortir. On a vraiment travaillé en studio, parce que ce n’est pas simple de mêler la technique vocale du rap avec celle de l’opéra, ce sont deux mondes qui ne sont tout simplement pas amenés à se rencontrer », nous explique-t-il, goguenard. Si Naestro aime la culture classique européenne, il n’en oublie pas d’apprécier également la culture populaire française. Ainsi a-t-on pu le voir sur la scène du Dôme de Marseille l’an dernier pour un hommage à Charles Aznavour, en présence de trente-neuf autres artistes, cinq cents choristes, et dix musiciens, où il a interprété Mourir d’aimer et À ma fille. Désormais, Naestro a arrêté les sports de combat. « La musique est un combat à part entière. Ce que je cherchais comme défouloir dans la boxe ou le MMA, je l’ai trouvé dans la musique, et c’est bien plus lumineux. J’ai découvert plein d’émotions que je ne connaissais pas », nous confie ce géant.
« Ce que je cherchais comme défouloir dans la boxe ou le MMA, je l’ai trouvé dans la musique, et c’est bien plus lumineux »
Naestro
Désormais, il parcourt le monde et, après un passage au Canada dans une comédie musicale, il sera sur les planches, à parisienne, à partir de ce mois de mars. Mais là-dessus, il garde un air mystérieux. « Tout est encore en négociation », sourit-il. Aujourd’hui acclamé sur scène, il confesse cependant que ce n’a pas toujours été le cas. « La première fois, on appelait presque la sécurité quand j’arrivais. Mais dès que je me mets à chanter, tous les a priori s’effacent ».