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[Portrait] Vincent Hervouët : mister monde

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Publié le

7 mars 2024

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« 150 chefs d’États interviewés, record à battre. Avec quelques joyaux : la dernière interview télévisée de VEJOYAUX : Kadhafi sous les bombes Franco-anglaises » Portrait.
© Benjamin de Diesbach pour l'Incorrect

Cher monsieur, interviewer un autre journaliste, c’est comme danser un slow avec sa soeur… vous seriez déçu. » Voici la réponse de Vincent Hervouët à notre demande de portrait. Comment bosser dans ces conditions ? Après quelques manipulations – c’est faux, il a juste eu pitié de notre insistance de groupie -, l’animal accepte enfin. Mais même une fois bien en face de nous dans ce drôle de restaurant thaïlandais de l’avenue Émile Zola, qu’il serait amusant de décrire si on n’avait que ça à foutre, l’escogriffe nous glisse encore entre les doigts.

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Une question sur deux, il commence par raconter n’importe quoi pour nous faire comprendre qu’elle est un peu bête, un peu attendue, il nous noie dans des divagations plus ou moins abracadabrantesques. Car Vincent Hervouët se méfie du journalisme : « Vous avez de l’estime pour les confrères tant que vous n’êtes pas de l’autre côté de la barrière, mais quand de chasseur vous devenez gibier, vous êtes sidérés par la légèreté, le conformisme, la paresse, la connerie… » Il s’emporte alors, mais toujours avec une courtoisie malicieuse, sur une consœur du Monde qui le harcèle de messages mielleux depuis des jours pour que cet ami de Patrick Buisson lui livre les secrets de la prétendue influence tentaculaire de ce dernier sur les rédactions parisiennes. Et Hervouët de vomir le « petit flic » envoyé par le quotidien français de référence aux obsèques de l’ancien conseiller de Sarko pour répertorier les participants, pourquoi pas en vue d’une éventuelle épuration.

Hervouët est dégoûté d’instinct par ces freluquets gonflés de leur propre néant qui peuplent les salles de rédac’. Voilà l’essentiel : il est à l’ancienne, parle les mots de jadis, comme ceux de respect et d’exigence. Lui n’est pas entré dans le journalisme en carriériste, mais pour «dynamiter les rédactions ». Déjà, stagiaire chez Europe 1 lors de sa scolarité au CFJ, il vouait le plus éclatant mépris aux Mougeotte et autres Duhamel, aussi sérieux que servile. Ni de gauche, ni libéral, ce « réactionnaire à visage humain », en fait un royaliste ligne NAF – comme c’est rafraîchissant! – n’a jamais été d’aucun sérail, et a passé la première moitié de sa copieuse carrière en paria dans toutes les rédactions où il a travaillé.

Déjà, stagiaire chez Europe 1 lors de sa scolarité au CFJ, il vouait le plus éclatant mépris aux Mougeotte et autres Duhamel, aussi sérieux que servile.

Mais il était tout a fait heureux car il voyait le monde, du Maroc au Liban, en passant par la Turquie, où il pouvait vivre un mois en vendant « un papier et trois photos ». Une vie d’aventure et d’oisiveté, le paradis d’un jeune homme ! Ne manquent que les filles, mais on devine à son bagout et ses sourires espiègles que l’artiste touchait sa bille.

Mais soyons sérieux, la grande affaire de la vie professionnelle d’Hervouët commence en 1994 avec le lancement de LCI. Première prise d’antenne à 20h30 pour la chaîne, première émission de notre portraituré à 20h40. Comme il l’a aimée cette rédaction : « Il y a eu un moment d’euphorie formidable là-bas. On y croyait tous, on bossait comme des dingues. » C’était la première chaîne d’info en continu en France, et tous ses journalistes rêvaient de faire exploser la grand-messe du 20 heures, de révolutionner le monde médiatique. D’ailleurs, ils ont réussi. Avec son « Journal du monde », toujours conclu par le mémorable « Ainsi va le monde. L’info continue sur la chaîne info », Hervouët établit un palmarès démoniaque : 150 chefs d’États interviewés, record à battre. Avec quelques oyaux : la dernière interview télévisée de Kadhafi dans le sous-sol du dernier hôtel ouvert de Tripoli, sous les bombes franco- anglaises, la dernière interview tout court de Laurent Gbagbo dans son bunker, au moment où les paras français mitraillaient juste au-dessus : « Dans un tel moment, on ne peut simplement pas raccrocher… »

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En plus du carnet d’adresses, le journaliste mettait dans son art ce mélange si particulier de culture et de désabusement, autre nom de la lucidité. « Ainsi va le monde », ça voulait dire personne n’échappe au mal, ça voulait dire méfiez-vous des discours angéliques de quelque bord qu’ils proviennent, méfiez-vous de l’émotion facile. À l’heure du manichéisme sans borne des ukrainophiles excités et des poutinolâtres pâmés, cette piqûre d’intelligence française est du meilleur goût. Notre homme la prodigue toujours quotidiennement via son édito international dans la matinale d’Europe 1. D’ailleurs, les cafés sont froids, il doit y retourner. Sur le chemin, encore quelques plaisanteries légères, encore quelques conseils bienveillants pour votre serviteur. On le quitte avec un sourire persistant et un goût renouvelé du métier, quand il est fait avec passion. Si seulement tous nos aînés avaient son visage.

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