Ainsi les signataires d’une pétition publiée par le quotidien « Libération » de ce 18 janvier 2024, et regroupant un collectif de « plus de 1.200 poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires, actrices et acteurs de la scène culturelle française » comme le précise son chapeau, ont-ils la triste ambition de « refuser la nomination de Sylvain Tesson », au prétendu motif qu’il serait « une icône réactionnaire » y est-il encore spécifié textuellement, comme « parrain du Printemps des Poètes 2024 ».
Oui, c’est bien ce journal que fonda autrefois, en 1973, un philosophe de la trempe de Jean-Paul Sartre, aux côtés de quelques autres intellectuels attachés eux aussi à l’imprescriptible liberté d’expression, qui ne craint pas de s’en prendre ainsi directement, ces jours-ci, à l’un des écrivains français les plus doués de sa génération, sinon de la littérature moderne et contemporaine en son ensemble : Sylvain Tesson donc, insigne auteur, parmi bien d’autres chefs d’œuvre poético-littéraires, de La Panthère des neiges, récit majeur, publié il n’y a guère si longtemps, en 2019, aux prestigieuses Editions Gallimard, dans la non moins réputée collection « Blanche », et qui, entre autres distinctions et titres honorifiques, fut le très méritoire lauréat, la même année, du prix Renaudot !
Serait-ce donc là, cette injustifiable cabale à l’encontre de l’une de nos meilleures plumes comme de l’un de nos plus beaux esprits d’aujourd’hui, le déplorable mais dangereux effet pervers, au vu de ce qui apparaît là comme un nouveau type d’inquisition, de cet insidieux poison doctrinaire, sectaire et rétrograde, sinon réactionnaire par-delà même ses louables intentions émancipatrices de départ, de ce que l’on appelle communément le « wokisme » ?
Il semble aussi, à lire l’injuste et diffamatoire contenu tout autant que l’outrance, sinon la violence, du ton de ladite pétition de « Libération » – le fait que certaines des positions politiques de Sylvain Tesson seraient supposées proches des thèses de l’extrême-droite – que ces signataires, dont la plupart sont d’illustres inconnus au sein du panorama littéraire français, ne soient mus, par-delà même leur indignité, que par la jalousie et l’envie : ce qui, on en conviendra aisément, s’avère un mobile particulièrement médiocre, tant sur le plan éthique qu’intellectuel ou professionnel !
Il est, d’autre part, pour le moins paradoxal, sinon franchement contradictoire, que ceux-là mêmes – poètes, écrivains, éditeurs et artistes – qui sont censés défendre les droits de l’homme, le progrès des idées, la liberté de création et la noblesse de la tolérance, voire la grandeur d’une civilisation, puissent sombrer ainsi, de manière aussi inconsidérée, pour ne pas dire pitoyable, dans les pernicieux travers du terrorisme intellectuel tout autant que la dictature morale, ces deux dangereux vecteurs idéologiques du totalitarisme !
Que ces signataires, dont la plupart sont d’illustres inconnus au sein du panorama littéraire français, ne soient mus, par-delà même leur indignité, que par la jalousie et l’envie
Davantage : n’ont-ils donc pas retenu ni compris, ces maîtres-censeurs s’arrogeant l’autoritaire droit de s’instituer arbitrairement en maîtres-penseurs, ces nouveaux « Fouquier-Tinville de café littéraire » pour paraphraser ici la célèbre formule du très lucide Raymond Aron dans ses doctes Mémoires, l’impérieuse leçon, parangon de tout humanisme correctement conçu, du grand voltaire, immortel auteur de l’admirable Traité sur la Tolérance, lorsqu’il prononça, au brillant Siècle des Lumières déjà, ces paroles (du moins sa légendaire postérité philosophico-littéraire les lui a-t-elle attribuées) que tout authentique démocrate se devrait de faire siennes, en effet : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ! »
Aussi, est-ce forts, justement, de cette très sage pensée, dont la hauteur de vue n’a d’égale que de la générosité d’âme, sans lesquelles il n’est d’ailleurs point d’intelligence qui vaille, que nous, signataires du présent appel, entendons également défendre, aux seuls mais inaliénables noms de la liberté de parole comme de pensée, le cher et talentueux Sylvain Tesson.
Liberté, cet essentiel principe universel (car c’est bien cela que nous soutenons et protégeons ici, à l’instar de Julien Benda autrefois dans sa salutaire Trahison des clercs, en premier lieu), lui soit donc rendue, effectivement, afin qu’il puisse parrainer ainsi honorablement, au regard de ce rang qui lui est légitimement dû, le beau, chaleureux et distingué « printemps des poètes » en cette année 2024.
Les signataires
Daniel Salvatore Schiffer : philosophe, écrivain, directeur des ouvrages collectifs Penser Salman Rushdie, Repenser le rôle de l’intellectuel et L’Humain au centre du monde – Pour un humanisme des temps présents et à venir.
Luc-Olivier d’Algange : écrivain, essayiste.
Marc Alpozzo : philosophe, essayiste.
Jeannette Bougrab : essayiste, docteure en droit, ancienne secrétaire d’État à la Jeunesse et à la Vie Associative (France).
Pascal Bruckner : philosophe.
Sophie Chauveau : écrivaine.
Guilaine Depis
Nadine Dewit : artiste peintre.
Emmanuel Dupuy : président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).
Lou Ferreira : philosophe, dramaturge, créatrice de salons littéraires théâtraux.
Luc Ferry : philosophe, ancien ministre français de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
Renée Fregosi : philosophe, politologue.
Christian Godin : philosophe.
François Kasbi : écrivain, critique littéraire.
Rachel Khan : écrivaine et essayiste.
Arno Klarsfeld : avocat.
Bernard Kouchner : fondateur de Médecins sans frontières (MSF) et de Médecins du monde (MDM), ancien ministre français des Affaires étrangères.
Michel Maffesoli : Institut universitaire de France, professeur émérite à la Sorbonne.
Jean-Marie Montali : journaliste et écrivain
Bruno Moysan : musicologue.
Yves Namur : poète, secrétaire Perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.
Éric Naulleau : écrivain.
Françoise Nore : linguiste.
Robert Redeker : philosophe.
Pierre-Yves Rougeyron : essayiste, fondateur du Cercle Aristote et directeur de la revue Perspectives libres.
Stéphane Rozès : politologue, essayiste.
Romaric Sangars : écrivain.
Boualem Sansal : écrivain.
Dominique Schnapper : sociologue, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), membre honoraire du Conseil constitutionnel (France).
Jacques Sojcher : philosophe.
Annie Sugier : essayiste, présidente de la Ligue du droit international des femmes (LDIF).
Pierre-André Taguieff : philosophe, politiste, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Jean-Claude Zylberstein : avocat, éditeur, écrivain.
André Bonet: écrivain.