Les faits relatés sont en fait l’autobiographie de l’enfance du petit Riad qui se déroule dans les années 80-90 en Libye d’abord puis en Syrie, bien avant que ces pays ne connaissent les événements tragiques intervenus depuis 2010. Né d’un père syrien et d’une mère bretonne, Riad Sattouf grandit d’abord en France puis à Tripoli, en Libye, où son père vient d’être nommé professeur après des études en France.
Le père Abdel Razak est issu d’un milieu très pauvre, mais a des ambitions politiques délirantes, en plein crépuscule du panarabisme. Il va élever son fils Riad dans le culte des grands dictateurs arabes, symboles de modernité et de puissance virile. Mais en 1984, la famille déménage en Syrie et rejoint le berceau des Sattouf, dans la ruralité profonde de la région de Homs. Malmené par la violence ordinaire de ses cousins, le jeune Riad découvre la rusticité de la vie syrienne, loin des villes. Son père, lui, n’a qu’une idée en tête : que son fils Riad aille à l’école syrienne et devienne un Arabe moderne, l’Arabe du futur.
A priori, la série qui a été célébrée de toutes parts et encensée par la critique pourrait susciter la méfiance. Mais Riad Sattouf livre un portrait au vitriol de son enfance, à travers la candeur et l’ingénuité du regard d’un petit garçon, sans jamais que cela ne tourne au règlement de comptes. Entre un père aigri et phraseur, frustré de n’avoir pas eu la carrière universitaire qu’il méritait selon lui, tiraillé par le retour à ses origines et une mère qui très vite perd pied dans un environnement qui la rejette, le petit Riad est confronté à la violence de la culture locale : sexisme, racisme (le petit Riad, à la chevelure blonde, se fait traiter de Juif par ses condisciples et manque de se faire lyncher par ses cousins à son arrivée en Syrie), crimes d’honneur.
La personnalité du père de Riad est intéressante à plus d’un titre : sa schizophrénie est celle de certains Arabes éduqués, embrassant les concepts de l’Occident tout en s’en méfiant et entravés par l’attachement à une culture dont ils finissent par excuser les aspects les plus archaïques, de peur de trahir leurs origines. Ainsi le petit Riad tente le Ramadan pour faire plaisir à son père (alors que ce dernier mangeait du porc en France), se plonge dans la lecture du Coran qu’Abdel Razak lui présente comme un élément de sa culture et apprends à détester les juifs. Le petit Riad voit son père embrasser longuement les pieds de sa mère et se lover contre elle, tandis que sa mère à lui, bretonne et non voilée, l’objet du rejet d’une partie de sa belle-famille syrienne.
Dans le tome 3 celle-ci exige de rentrer en France tandis que le petit Riad, pris dans un conflit de loyauté accepte pour son père d’être circoncis tardivement. Le dessin épuré sait pourtant rendre à merveille le quotidien des pays arabes concernés, avec ses murs lézardés, ses équipements désuets et certains détails familiers des voyageurs comme les poêles à mazout, les pots de labneh et les fonctionnaires corrompus.
Alors certes, l’impression générale est celle d’un biais culturaliste, sans jamais pourtant que Riad Sattouf n’exprime autre chose que les impressions d’un petit garçon. Beaucoup de drôlerie et de détails hilarants dans ce récit : nulle aigreur envers les Syriens qui sont touchants de vérité, y compris dans les situations les plus criantes d’oppression patriarcale et de bigoterie rétrograde. Mais il décrit assez fidèlement les pesanteurs inouïes des sociétés arabes profondes : elles seront le socle de pauvreté et d’archaïsme sur lequel écloront certains « printemps arabes », en Syrie en particulier.