Étrange film, sorte de consécration en forme de boutade luxueuse pour une carrière toute aussi étrange, celle de James Gunn, qui n’est pas sans rappeler Peter Jackson : les deux étant issu du cinéma de série Z le plus crapuleux et étant parvenus à se hisser, à force de talent et de roublardise, au niveau des blockbusters les plus ambitieux. Pourtant, redonner à Superman un souffle nouveau semblait relever de la gageure. À l’heure où la tectonique géopolitique n’a jamais été aussi complexe, le héros créé par Joe Shuster et Jerry Siegel au début des années 30 pourrait semblait par trop suranné, et ce malgré les tentatives plus ou moins réussies de Zack Snyder pour en faire une parabole du surhomme nietzschéen, sorte de Dieu vivant que son statut divin éloigne par essence de toute considération morale. La morale, James Gunn s’en tamponne et s’en amuse – tout au plus évoque-t-il avec goguenardise la façon dont Superman, électron libre du gouvernement américain, est fautif d’ingérence dans un conflit frontalier qui évoque un peu trop furieusement la poudrière gazaouite. Gunn s’amuse avec son personnage, le transformant volontiers en ahuri – le nouveau venu David Corenswet n’ayant pas son pareil pour incarner une version campy d’Henry Cavill, sans parler de ses parents adoptifs qui font passer la famille de Mariés, deux enfants pour de fins lettrés.

Un miracle

On frôle la parodie, mais on ne sombre jamais dans le blockbuster cynique : James Gunn sait comment filmer une scène d’action et investit toute sa puissance d’évocation cartoonesque dans des personnages certes caricaturaux, mais remplis de bonnes – ou de mauvaises intentions : la palme revenant à Nicholas Hoult, très premier degré dans le rôle de Lex Luthor, mais toujours brillant, ou encore à l’avion de chasse Rachel Brosnahan qui incarne une Lois Lane plus que convaincante – peut-être la meilleure de toutes les adaptations cinéma. En outre, Gunn se paye le luxe de parler de notre modernité, toujours avec malice et sans jamais forcer le trait : pas de wokisme outrancier comme chez ses compères de Marvel, pas d’empowerment fastidieux – tout au plus invoque –t-il un « Justice Gang » tout aussi bariolé qu’inquiétant – avec un Green Lantern et une Hawkgirl qui pourraient facilement avoir leur place dans The Boys, cruauté incluse. On le sait, garder une telle légèreté de ton et une telle authenticité, lorsqu’on est  à la tête d’une franchise et de tels enjeux économiques, relève du miracle.

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Alors oui, les pleurnichards et les fins lecteurs de comics crieront peut-être au scandale face à un Superman aussi grotesquement « humain », qui passe deux heures à se prendre des roustes – on n’est pas loin d’un Coyote de Tex Avery… Oui, ils pourront également s’énerver de la présence surréaliste de ce superchien – qui apparaît dès la première scène comme pour donner le ton du film et rappeler que Superman, malgré toute la patine « adulte » qu’on essaye de lui donner depuis cinquante ans, est d’abord et avant tout un héros d’illustré pour enfants. James Gunn, au fond, ne fait jamais que remettre le comics à sa place – en n’oubliant jamais le spectaculaire, ni ses racines de cinéaste de série B et d’amuseur public.

SUPERMAN, de James Gunn avec David Corenswet, Rachel Brosnahan, Nicholas Hoult, Nathan Fillion, Edi Gathegi, Frank Grillo (2?h?10).