Il y a des maladies dont on ne guérit jamais. En France, c’est celle de la taxe-miracle. À chaque fièvre budgétaire, le même réflexe : un impôt, et ça repart. Sauf que cette fois, le remède rend le malade plus faible. En taxant toujours davantage le tabac, l’État s’est privé de ce qu’il croyait être une manne : la Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS) l’a confirmé dans son rapport d’octobre 2025, les recettes issues des droits sur les tabacs chutent de 5,1 %.
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« Par rapport aux prévisions d’évolution retenues par la loi de financement de la Sécurité sociale, 1,7 milliard d’euros de moins-values seraient enregistrées au titre de la TVA et 0,7 milliard au titre des droits sur les tabacs », note la Commission (p. 18 du rapport officiel). Une manière polie de dire : Bercy s’est encore trompé de calculatrice.
La vertu fiscale, ou la double peine
Officiellement, la politique anti-tabac était une réussite : le paquet dépasse désormais les 13 euros, la consommation recule, la santé publique applaudit. Mais dans les comptes, la vertueuse croisade tourne à la farce. En quatre ans, les hausses successives de taxes n’ont pas seulement découragé les fumeurs : elles ont découragé les recettes. Déjà, en 2024, le gouvernement tablait sur 14 milliards d’euros de rentrées fiscales tabac pour la Sécurité sociale. Il n’en a encaissé que 13,1 milliards. En 2025, la pente s’accentue. Et le constat est le même, année après année : « plus de taxes, donc moins de recettes ».
L’explosion du marché parallèle – contrebande, contrefaçons, achats transfrontaliers – grignote la part des ventes légales. Les douanes estiment désormais qu’entre 25 % et 30 % du tabac consommé échappe à la fiscalité française.
Le rapport de l’Observatoire Hexagone, publié fin octobre, avait déjà dressé le constat. La Commission des comptes de la Sécu, elle, l’officialise. La fiscalité anti-tabac est devenue un piège à recettes, un miroir aux vertus brisées.
Le marché parallèle, gagnant invisible
Car si les fumeurs français fument moins de cigarettes officielles, ils n’ont pas pour autant arrêté de fumer. L’explosion du marché parallèle – contrebande, contrefaçons, achats transfrontaliers – grignote la part des ventes légales. Les douanes estiment désormais qu’entre 25 % et 30 % du tabac consommé échappe à la fiscalité française. À ce niveau, ce ne sont plus quelques paquets de contrebande : c’est un système parallèle, une économie grise évaluée entre 4 et 6 milliards d’euros de manque à gagner pour les caisses publiques. Ironie du sort : plus l’État tape fort, plus il pousse les consommateurs vers la clandestinité. Et quand l’État perd, les trafiquants, eux, fument le cigare.
L’illusion des prévisions
Dans ses projections, la Sécurité sociale avait prévu une « évolution spontanée » de +0,5 % des recettes tabac pour 2025. La réalité sera cinq fois pire, à –5 %. Cet écart, répété d’année en année, témoigne d’un pilotage budgétaire défaillant. Les économistes y verront la fameuse courbe de Laffer : au-delà d’un certain seuil, augmenter l’impôt fait baisser la recette. Mais les technos de Bercy, eux, n’en démordent pas. Leur logiciel n’intègre pas la réalité : la France est devenue un pays où l’impôt finit par tuer l’impôt.
Car ce qui vaut pour le tabac vaut aussi pour les carburants, l’alcool ou les sodas : la France taxe au nom de la vertu, mais récolte la défiance, le marché noir et la contrebande.
Résultat : le déficit de la Sécurité sociale s’alourdit. Les moins-values fiscales, cumulées à la hausse continue des dépenses de santé, dégradent les comptes de manière durable. La CCSS estime désormais le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse à près de 14 milliards d’euros en 2025, un niveau comparable à celui des années Covid. Autrement dit, la « Sécu » vit à crédit. L’État, lui, compense en empruntant. Et le contribuable paie la facture… même sans fumer.
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On pourrait en sourire si ce n’était pas si grave. Car ce qui vaut pour le tabac vaut aussi pour les carburants, l’alcool ou les sodas : la France taxe au nom de la vertu, mais récolte la défiance, le marché noir et la contrebande. Ce système où chaque hausse de taxe finit par produire l’effet inverse relève d’une schizophrénie administrative. On appelle cela « faire de la santé publique » ; en pratique, c’est faire de la politique sans compter.
Leçons d’un fiasco
Le cas du tabac est donc un symptôme. Derrière la façade morale du « bien taxé pour le bien commun », on découvre un modèle fiscal asphyxié, prisonnier de sa propre idéologie. On prétend punir les fumeurs ; on finit par se punir soi-même. L’État se voulait thérapeute ; il est devenu patient. Et, comme souvent, il n’a trouvé personne pour lui prescrire la seule cure efficace : la lucidité. Souffle court, trésor vide, morale intacte : la France continue d’éternuer sur son paquet à treize euros, persuadée que la vertu remplace la gestion. Mais à la lecture des chiffres de la Commission des comptes, une évidence s’impose : le tabac ne tue pas que les fumeurs – il étouffe aussi les finances publiques.




