Les mots ont perdu leur sens. En fait de débats, on s’envoie au visage des expressions vides, des éléments de langage creux censés remplacer un discours intelligible. Une grande partie de la classe politique s’exprime désormais en recrachant des slogans, ainsi que pourraient le faire des robots mus par une « intelligence artificielle ». À quoi bon les écouter, autant lire des tracts puisqu’ils n’ont plus rien à nous dire.
Dans leur journal, les frères Goncourt écrivaient que « dans le journalisme, l’honnête homme est celui qui se fait payer l’opinion qu’il a ; le malhonnête, celui qu’on paie pour avoir l’opinion qu’il n’a pas ». De nos jours, en politique, le plus court chemin est de ne tout simplement pas avoir d’opinions sur quelque sujet que ce soit, de ne surtout pas cliver. Certains le pratiquent avec art, quand d’autres finissent par s’embourber dans leurs contradictions. J’ai été témoin, et même « partie prenante », de la prétendue « agression physique » qu’aurait subi le candidat des Républicains à la présidence de la région Occitanie. Une manœuvre savamment orchestrée pour faire parler de lui, se victimiser et « diaboliser » son contradicteur ; l’ancien magistrat Jean-Paul Garraud.
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Courtois, habitué à ces échanges civilisés qui faisaient autrefois la civilisation, Jean-Paul Garraud a été surpris par l’agressivité politicienne du Lotois, dont je tais volontairement le nom pour ne pas lui accorder la publicité qu’il ne mérite pas. Émule de cette politique spectacle contemporaine, partiellement inspirée de la télé-réalité et de ces « clashs » et « polémiques » dont se repaissent les médias de masse et les réseaux sociaux, ce dernier a appliqué à la lettre – sûrement sans avoir la référence -, la dialectique éristique telle que l’avait conceptualisée le philosophe allemand Arthur Schopenhauer. Il s’agit d’une forme de débat où les attaques ad hominem et les vociférations servent à discréditer l’autre débatteur, pour éviter d’aborder les questions de fond.
Pendant près d’une demi-heure, ce dernier a donc qualifié d’extrémiste un homme qui a passé 20 ans à l’UMP et aux Républicains, confondant des notions juridiques qu’il ne maitrisait visiblement pas, notamment la différence entre l’interruption volontaire de grossesse et l’interruption involontaire de grossesse qui renvoie à la question juridico-philosophique de l’infans conceptus. Jean-Paul Garraud, quand il était député de Gironde, avait travaillé à un amendement répondant au vide juridique entourant cette notion, à la demande du ministre Dominique Perben. Il ne s’agissait aucunement de remettre en débat l’avortement, mais d’offrir une protection à la femme enceinte. Pour le comprendre, il convient d’avoir quelques notions en droit de la personne, et la capacité d’écoute et de dialogue.
Outre cet échange, l’attitude volontiers provocatrice du Lotois avait pour but, non pas d’exprimer des idées relatives à « l’avenir de la droite », objet du débat, mais bien de salir son concurrent, de l’empêcher purement et simplement de s’exprimer, sans que jamais l’intermédiation journalistique n’intervienne. Au terme de ce débat, monsieur Garraud courroucé, mais toujours respectueux, lui a donc demandé de faire preuve de plus de dignité. Dont acte. Présent à la sortie du plateau, j’ai moi-même jugé légitime d’appeler au calme et à la décence, un petit coq vexé monté sur ses ergots et furieux, ce qu’un journal a décrit en ces termes : « (…) a vu le directeur de campagne fondre sur lui. « Je ne le connaissais pas, il m’a dit qu’il fallait que je me calme » ». Glaçant.
S’il y a eu tentative de coup médiatique, suivie par une partie de la presse, quand bien même certains « témoins » ont reconnu avoir « surréagi », il n’y a eu ni coup porté ni intention de porter des coups
Ce n’est pas l’idée que je me fais de la politique, surtout avec un adversaire se prétendant de « droite ». Pourtant, l’histoire ne faisait alors que commencer. En effet enregistrée le vendredi après-midi, l’émission n’est diffusée que le dimanche matin. C’est ce moment qu’a attendu le député du Lot pour dénoncer une « agression physique » à son encontre, sur Twitter. Son objectif était évident : susciter une émotion et se placer dans l’avantageuse position de la victime. Que la réalité de « l’agression physique », devenue en moins d’une heure une simple « menace », soit plus que sujette à caution, et même totalement inventée, ne prête pas à conséquence car le dénonciateur aura toujours raison face au « mal ». Il a d’ailleurs été soutenu par Carole Delga et Christophe Castaner, trop heureux de voler au secours de l’infortuné. On notera qu’aucun cadre des Républicains n’aura jugé bon faire de même : ils connaissent bien l’animal !
Les mots ont un sens : une agression physique correspond à des coups portés. En l’espèce, il n’y a même pas eu de gestes agressifs. Les Français subissent des agressions dans les rues, par de vrais voyous que Christophe Castaner ni personne n’a su mettre hors d’état de nuire. Un « pugilat » répond à une définition, le terme commun renvoyant aussi à un sport antique d’une grande violence physique. Pareillement, une « exfiltration » n’est pas un acte anodin, demandant une expulsion par la force ! S’il y a eu tentative de coup médiatique, suivie par une partie de la presse, quand bien même certains « témoins » ont reconnu avoir « surréagi », il n’y a eu ni coup porté ni intention de porter des coups. Un coup médiatique immoral, car basé sur un mensonge et irrespectueux de la réalité des agressions quotidiennes de notre pays. Un coup médiatique à l’image d’une société hystérisée où le mensonge n’est même plus perceptible, puisque les mots eux-mêmes sont devenus incompréhensibles.
Ce règne de l’émotion, qui masque les drames véritables que subissent les Français, est entretenu par la classe politico-médiatique gagnée à la « cancel culture » et au « wokistan » le plus superficiel. Et si, en fin de compte, le vrai combat n’était pas là ?