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Dans un livre engagé, sinon partisan, Bertrand Blandin, professeur d’Histoire et de Géographie à Dijon, livre les résultats de son enquête sur les causes de la Guerre. La thèse de Bertrand Blandin devrait d’ailleurs susciter une polémique aussi vive que justifiée. Alors que nous commémorons cette année le centenaire du grand tournant militaire de 1917, l’ouvrage est l’occasion de questionner les conditions et les objectifs profonds d’une expérience collective sans équivalent dans l’Histoire de notre communauté nationale.
La recherche des causes de la Grande Guerre est toujours vivace. Malgré la distance qui nous sépare maintenant des événements, le sujet demeure sensible. En Allemagne même, on se souvient de la controverse exemplaire opposant les historiens Fritz Fischer et Gerhard Ritter dans les années 1960. Fischer se basait sur les archives des Affaires étrangères pour démontrer la préparation du conflit par les autorités allemandes, au plus tard dès 1912. Comment situeriez-vous votre travail au sein de la production historiographique actuelle ?
La recherche des causes de la Grande Guerre n’est pas aussi vivace que vous l’affirmez. La thèse actuelle de « l’engrenage fatal » des alliances est celle qui domine depuis des années, l’ouvrage de Christopher Clark (Les somnambules) n’étant qu’une variante de cette thèse, même s’il réévalue la responsabilité russe. Notons cependant que la thèse de la culpabilité allemande ne convainc plus grand-monde. La preuve ? En France, plus personne ne l’enseigne aujourd’hui !
C’est en m’interrogeant sur ce qui semble presque irrationnel que j’ai commencé mon travail : comment passe-t-on en 35 jours d’un attentat à une guerre mondiale ? Comment bascule-t-on d’un conflit local, qui aurait dû rester localisé, selon les vœux de la diplomatie allemande, vers une guerre généralisée ? Comment le basculement s’est-il produit ? Quand s’est-il produit et qui a eu intérêt à ce que ce basculement se produise ? Il me semble que les réponses qui ont été apportées jusqu’à maintenant ne sont pas satisfaisantes.
Votre livre restitue une partie de la vie politique du temps. Vous relativisez certaines données internationales souvent bien connues, comme les tensions balkaniques, pour centrer votre analyse sur d’autres facteurs. La vie politique française occupe une place de choix; en particulier à travers les figures de Raymond Poincaré et celle, peut-être injustement minorée aujourd’hui, de Joseph Caillaux. 1914 serait donc en grande partie une affaire intérieure ?
Certaines données internationales me semblent incontournables. Les tensions dans la régions des Balkans sont capitales. L’étude de ces tensions me permet de mettre en évidence un fait : la région est un baril de poudre qui ne demande qu’à exploser, et personne ne l’ignore. Et malgré cette évidence, la France s’est choisie des alliés, la Russie et la Serbie, qui sont impliqués dans toutes les crises de cette région. Il y a donc une responsabilité évidente de la classe politique française qui a décidé de se mêler de ce qui a priori ne la regarde pas, pour des raisons que je développe dans mon livre.
Il faut comprendre que l’idée d’une responsabilité française est née de la prise en compte de faits sur lesquels on ne peut pas faire l’impasse : la recherche d’une alliance de revers avec la Russie, l’état les plus réactionnaire et le plus antisémite d’Europe (drôle d’allié pour la France des Droits de l’Homme !), un traité avec des clauses militaires secrètes, la volonté d’impliquer la France dans une crise balkanique, la réconciliation de la France avec son pire ennemi au regard de sept siècles d’histoire, l’Angleterre, un soutien économique et financier sans faille à la Russie, assorti d’une vaste affaire de corruption de la presse française, avouez que cela commence à faire beaucoup !
La France a tout fait pour préparer une guerre de revanche contre l’Allemagne. Seulement, il y a un gros problème : le peuple français, pour de nombreuses raisons que je développe, n’est pas prêt à mourir pour Strasbourg. Il faut donc trouver une solution…
1914 une affaire intérieure ? Observons que les seuls hommes susceptibles de s’opposer à une guerre de revanche sont opportunément mis hors jeu. Joseph Caillaux est littéralement « dézingué » par une campagne de diffamation menée par le directeur du Figaro, et Jaurès, le seul qui ait écrit des pages prophétiques sur le désastre que serait une guerre de revanche, est, là aussi fort opportunément, assassiné le jour de l’entrée en guerre, après avoir subi une campagne de haine sans précédent dans la presse française…
Votre démonstration insiste sur la manipulation de l’opinion par une partie des autorités politique et militaire de l’époque. Vous évoquez bien sûr la mobilisation des thèmes de « Civilisation » ou « Barbarie » par l’Entente, mais faites aussi mention de rapports truqués, de documents subtilisés… À vous lire, on songe au mot de Proudhon repris par Carl Schmitt : « Qui dit Humanité veut tromper ».
La responsabilité française dans le déclenchement des hostilités étant, à mon sens, écrasante, il devenait important de masquer la vérité. J’ai découvert que nombre de documents officiels avait été truqués, arrangés, manipulés, antidatés, pour leur faire dire ce qu’on voulait qu’ils disent : l’Allemagne et l’Autriche sont coupables, la France et la Russie ont été injustement attaquées. Certains de ces documents arrangés serviront même de pièce à charge lors de l’élaboration du traité de Versailles.
Prenons l’exemple de la dépêche de Jules Cambon, ambassadeur à Berlin, au ministre des Affaires étrangères et datée du 22 novembre 1913, qui accrédite l’idée que Guillaume II était partisan d’une guerre contre la France. Elle a été largement remaniée de manière à ce que disparaisse tous les passages où Guillaume II se désole de l’esprit nationaliste et revanchard qui règne en France, en vertu de quoi il considère la guerre comme inévitable. La phrase « l’empereur a cessé d’être partisan de la paix » a été rajoutée. Cette version remaniée de la dépêche figure encore dans le manuel Malet-Isaac de 1972 !
L’ouvrage rappelle l’état de l’opinion française lors de l’entrée en guerre. La France de la IIIe République demeurait culturellement diverse, en particulier au plan linguistique. D’aucuns doutent également de l’enracinement du régime républicain à l’époque. Iriez-vous jusqu’à dire que la Guerre a fait la France contemporaine, singulièrement sous sa forme républicaine ?
Je pense, au regard de ce qu’est la situation intérieure de la France, tant sur le plan culturel que politique, que l’idée d’un régime républicain solidement enraciné ne tient pas. Rappelons seulement que la loi de séparation de l’Église et de l’État date de 1905, qu’elle fait de l’Église catholique un ennemi intérieur, rappelons également que la Loi militaire des Trois ans provoque des mutineries, et qu’en 1914, le deuxième parti de France est le Parti socialiste de Jaurès. L’idée d’un régime républicain qui ferait l’unanimité me semble fausse. Personne ne sait ce qu’une déclaration de guerre à l’Allemagne pourrait entraîner : un coup d’État, une révolution ? C’est bien pour cela que les hommes politiques aux commandes doivent forcer l’Allemagne à entrer en guerre la première.
Si l’on juge une politique à ses résultats, constatons que l’Union sacrée a rassemblé les Français par delà leur divergences, et que la langue française s’est répandue dans quasiment toutes les régions. Après la guerre, le régime républicain n’est plus contesté. Encore que la Troisième république s’effondrera en 1940, la Quatrième en 1958, et aujourd’hui, certains parlent d’une Sixième république. Avec les Français, rien n’est définitif !
« Encore et encore, dans la crise de juillet on est confronté à des hommes qui soudainement se sentent pris au piège et s’en remettent à un destin qu’ils sont incapables de contrôler. » Finalement, comment jugez-vous cette affirmation sublime et terrible de l’historien britannique James Joll, que l’on pourrait aujourd’hui prêter à l’auteur des Somnambules, Christopher Clark ?
Nul piège ne contraint la France à entrer en guerre. Si la France entre en guerre, ce n’est que la conséquence logique de choix qu’elle a fait depuis quarante ans. Elle aurait pu choisir de se réconcilier avec l’Allemagne, puisqu’elle l’a bien fait avec l’Angleterre. Elle aurait pu choisir la carte de l’apaisement : ni les hommes qui sont à la tête de l’Etat, ni les diplomates, ne sont partisans de cette option.
Comment peut-on affirmer que l’engrenage des alliance était fatal, alors que l’Italie, membre de la Triple alliance, choisit de rester neutre, en 1914, pour intervenir en 1915, aux côtés de la France, trahissant ainsi ses anciens alliés. Voilà des hommes qui ne se sont pas sentis « pris au piège », mais qui ont agit en fonction de ce qui leur semblait le plus profitable.
Ajoutons enfin que Poincaré avait toutes les cartes en main pour gérer au mieux la crise, dont une aurait pu être utilisée facilement : l’argent. Car c’est l’argent français qui maintient l’Empire russe à flot. Que la France refuse son soutien à la Russie, au besoin en lui coupant les vivres, et le géant russe serait resté l’arme au pied. Ce n’est pas ce qui a été fait, bien au contraire…
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