L’affaire du jeune Guillaume et de Maxime Cochard, conseiller municipal, a révélé l’ampleur et la perversité d’un vaste réseau « d’amis » de la mairie de Paris. Certains agresseurs semblent jouir d’une impunité et d’une bienveillance qui interrogent. « SosFonctionnaireVictime », une association qui comme son nom et son objet l’indiquent vient en aide aux fonctionnaires victimes de souffrance au travail, a recueilli nombre d’histoires relatant la descente aux enfers de fonctionnaires, hommes ou femmes, pour avoir désigné un supérieur hiérarchique ou un élu comme étant source de leurs tourments.
À propos de Guillaume Tran Tahnh, cet étudiant de 20 ans qui s’est suicidé le 9 février dernier après avoir accusé Maxime Cochard et son compagnon Victor Laby – tous deux militants PCF proches de Ian Brossat – de l’avoir abusé sexuellement en 2018, l’association, contactée par L’Incorrect, explique : « On trouve à travers cet exemple le schéma typique de ces dernières années. Une personne se signale comme victime, aussitôt l’auteur présumé fait savoir publiquement qu’il la poursuit pour « dénonciation calomnieuse ». On note un déséquilibre dans les moyens à dispositions des protagonistes. D’un côté, un jeune en rupture familiale, isolé, sans emploi en pleine période de confinement ; de l’autre un couple plutôt à l’aise financièrement qui publie les SMS de Guillaume dans Le Parisien laissant entendre que sa démarche serait vénale ou répondrait à un désir de vengeance. Le choix de la photo de l’article en question est en soi un parti pris puisqu’elle a été fournie par Maxime Cochard. Est-ce cette démonstration de force qui a conduit Guillaume au suicide ? C’est probable. Dans les dossiers qu’on traite, le « supérieur » bénéficie assez souvent de la prise en charge par la mairie de Paris des frais d’avocats pour poursuivre le plaignant démuni ».
Mais il se pourrait que cette affaire – qui est encore en cours d’instruction judiciaire – ne soit que la pointe émergée de l’iceberg. D’autres révélations mettent en lumière des pratiques et des méthodes de harcèlement, de sexisme mais aussi de racisme courantes chez certains cadres de la mairie de Paris. La chape de plomb qui recouvrait ces habitudes commence à s’effriter au point de gêner dans les plus hautes sphères de l’Hôtel de Ville. Parmi les différentes affaires, un nom revient de façon récurrente, celui de Didier Conques.
Lire aussi : Racisme, sexisme, violence et harcèlement : bienvenue à la mairie de Paris – Episode 2
Qui est-il ? L’homme se définit comme un « Béarnais », et ne manque pas d’être folklorique. Ce haut fonctionnaire de 62 ans a gravi les échelons de la Poste avant d’intégrer la mairie de Paris. Une ascension non dénuée d’éclaboussures : en effet, ces dix dernières années, son nom apparaît défavorablement dans diverses polémiques. Proche de la maire du XXe arrondissement Frédérique Calandra, et protégé d’Anne Hidalgo, il a semblé jusqu’à maintenant intouchable, comme s’il bénéficiait d’une protection particulière.
Revenons en arrière : pourtant bien installé depuis 2008 à la mairie du XXe en qualité de Directeur général des services, Didier Conques a été démis de ses fonctions à l’issue d’un ultime scandale en octobre 2018. Depuis son arrivée, son comportement avait été mis en cause dans trois enquêtes internes dirigée par l’Inspection générale des services. Pourquoi l’Inspection de la Ville de Paris, pourtant informée, n’a pas mis un terme plus tôt au management qu’orchestre monsieur Conques « par la terreur et le racisme » selon le Comité justice et liberté pour tous (CJL) ? Candidate de la France insoumise dans le XXe arrondissement aux dernières municipales, Danielle Simonnet avait relayé au Conseil de Paris « plusieurs échos d’agents se plaignant de l’autoritarisme du DGS de la mairie, certains songeant même à entamer des démarches devant les tribunaux pour discrimination ». Mais qu’a donc bien pu commettre Didier Conques ?
Le racisme en commun
Ils sont légions les employés de cette mairie de l’Est parisien et les délégués syndicaux qui rapportent les propos surréalistes tenus par le soutien et proche d’Anne Hidalgo. Cet homme fièrement socialiste cacherait-il un grand raciste dans l’âme ? C’est ce que laisse penser un ensemble de témoignages répandus à travers les médias : ainsi, Metronews titrait-il : « À la mairie du XXe, les agents priés de ne plus “parler arabe”» ; dans Le Parisien, on découvre que lors du mariage entre une femme blanche et un homme noir, Didier Conques se serait fendu d’un : « C’est contre-nature ». Dans 20Minutes, à propos de Roms recueillis à la mairie après un incendie : « Ils sentent fort ces gens-là », avant d’ordonner aux employés de « surveiller qu’ils ne volent rien ». Un employé est noir ? « Il a estimé qu’Abdou avait le profil d’un videur. Parce qu’il était noir et costaud ». Lorsque le CJL dévoile son enquête, Didier Conques s’indigne d’être « comparé au sénateur RN Stéphane Ravier », pourtant jamais condamné pour racisme. Le Directeur général des « sévices », comme le surnomment en son absence certains agents, porte plainte contre le CJL pour « atteinte à son honneur ».
Harcèlement et drôles de mœurs
En 2018, Sabine Vorin, une femme de ménage originaire d’Afrique et des Antilles, est retrouvée morte dans une bibliothèque de l’arrondissement. Elle avait été mutée ici, quittant son poste et sa « famille » de collègues de la mairie du XXe où elle aurait été victime, selon plusieurs associations et syndicats, de « remarques racistes, sexistes et grossophobes, proférées par le directeur général des services », autrement dit Didier Conques. Danielle Simonnet avait alors lancé un appel à témoigner pour briser l’omerta : d’après certains employés dont son chef direct, monsieur Conques l’aurait surnommée « la grosse noire qui pue ». Sabine Vorin racontait elle-même subir les remarques sur son poids, sa couleur de peau de la part de l’ancien DGS chaque fois qu’elle se rendait à nouveau dans la mairie. Lors des funérailles de madame Vorin, Didier Conques était présent, présence qualifiée de « honteuse » par les collègues et le chef de la défunte.
« Quand Didier Conques, DGS du XXe me demandait au sein de la mairie si sous ma robe je portais « des bas ou des collants », Calandra [la maire du XXe, Ndlr] n’a pas réagi comme il se devait. Une fois de plus elle montre que la lutte contre toutes les violences contre les femmes ne l’intéresse pas. »
Côté Hôtel de Ville, aucune réaction. Pourtant, c’est exactement à cette même période qu’une intervenante extérieure à la mairie de Paris, Sophia Hocini, décide d’accuser publiquement l’ancien DGS depuis son compte Twitter en ces termes : « Quand Didier Conques, DGS du XXe me demandait au sein de la mairie si sous ma robe je portais ‘des bas ou des collants’, Calandra [la maire du XXe, ndlr] n’a pas réagi comme il se devait. Une fois de plus elle montre que la lutte contre toutes les violences contre les femmes ne l’intéresse pas. « Shame ! ». Mais avant elle, Didier Conques a déjà attaqué d’autres cibles : « J’ai en effet eu droit à la carte Premium de la souffrance au travail, la totale sans avoir rien commandé ! » déclare Yanis [le prénom a été modifié], victime supposée de Conques. Que s’est-il donc passé ?
En 2009, Yanis est recruté par la mairie du XXe arrondissement pour devenir agent de logistique générale catégorie C, c’est-à-dire un petit fonctionnaire au bas de l’échelle. Très vite, Didier Conques semble s’intéresser de trop près à lui. Ces propos nous sont encore rapportés par l’association SosFonctionnaireVictime : si M. Conques refuse de serrer la main à la plupart des agents, il ne rechigne cependant pas à « caresser le bras, le dos, palper le haut du buste et à se montrer très tactile » avec Yanis. Si bien que l’employé fraîchement embauché décide de quitter la mairie du XXe pour se soustraire à ses gestes. Et c’est là le début des problèmes administratifs : Yanis, qui était pigiste dans différents médias en sus de son emploi de fonctionnaire, a des réflexes journalistiques : il enregistre quasi-systématiquement et secrètement les échanges qu’il peut avoir avec son DGS en tête-à-tête quand ce dernier le convoque. L’Incorrect a eu accès à certaines retranscriptions d’enregistrements : « Pourquoi vous voulez me quitter ? » entend-on Conques le supplier.
Dans une relation à sens unique, Didier répand la rumeur selon laquelle Yanis serait homosexuel après que sa compagne de l’époque a appelé à la mairie pour signaler l’arrêt maladie de Yanis. Malveillance ou jalousie ? Un soir alors que Yanis range le mobilier d’une salle de la mairie, il se produit ce qui suit : « J’achève de ranger les chaises sur un chariot (…) M. Conques essaie d’empoigner mes testicules en disant ‘votre pantalon tombe, il faut le remonter’ », tout en dirigeant sa main vers les parties intimes de l’agent qui excédé jette la chaise au sol. Selon la plainte dont a pris connaissance l’association chargée du dossier : « Conques a multiplié les gestes de ce type, lui a tiré avec force sur son pantalon au point d’en déchirer la poche arrière, il lui a glissé la main entre les fesses… Toujours par surprise ! ». D’autres témoignages viennent corroborer les dires de Yanis concernant les agressions de Conques. Damien [le prénom a été changé, Ndlr ], un collègue jusque-là resté discret raconte comment le DGS a mimé une sodomie sur lui alors qu’il poussait un charriot de matériel. Un autre jour, alors qu’ils sont seuls dans une pièce de cette vaste mairie, Didier Conques le gifle par deux fois. Mais toujours en l’absence de témoins, lequel des deux, le cadre ou le manutentionnaire, serait-on censé croire ?
La folle mafia d’Anne Hidalgo
Car Didier Conques peut compter sur une défense en béton. Un important dispositif mis est en place par la mairie. Yanis l’affirme : « Malgré la multiplication des alertes, les signalements de syndicats, des articles, Conques n’a jamais été sanctionné alors qu’en tant que DGS il a détruit la carrière de beaucoup d’agents en ayant recours à la calomnie et au mensonge ».
Lire aussi : Dossier LGBT – Du droit à l’indifférence au droit à la différence
Yanis dépose plainte contre Didier Conques pour harcèlement moral, sexuel, agressions sexuelles et incitation à la violence en mars 2012. Au Parquet de Paris, il précise ne pas vouloir être interrogé au commissariat du XXe, connaissant la proximité de la police avec la mairie. Des accusations graves qui se retournent contre lui. Toujours selon SosFonctionnaireVictime : « Anne Hidalgo aussitôt informée du dépôt de plainte est entrée dans la boucle : elle a ouvertement essayé de prendre de court l’enquête officielle par une pseudo enquête « faite maison » portant sur le comportement de Conques et surtout du plaignant. On nage en plein délire. L’inspection générale a auditionné une quarantaine de personnes dont une trentaine ne connaissait pas Yanis. Lui a été convoqué et y est allé en toute confiance. Sur place, on lui a demandé d’éteindre son portable et de poser ses affaires dans un coin de la pièce, comme s’il s’agissait de Mohammed Merah, d’un terroriste alors que c’est lui qui avait porté plainte ».
Une situation surréaliste qui perdure. Rien n’est épargné à la victime : « On est revenu longuement sur ses origines, sa religion et sa sexualité. Pendant quatre heures, il est resté enfermé et accablé, pressé de questions dans une pièce au septième étage d’une tour », toujours selon l’association. Une fois de plus, Danielle Simonnet interpelle Anne Hidalgo au Conseil de Paris qui laisse entendre que Yanis est un menteur malgré une plainte très circonstanciée.
« Madame Hidalgo a demandé une enquête sur Yanis, sur ses activités journalistiques et a voulu le faire passer en conseil de discipline pour le révoquer. Ils se sont déchainés contre lui », poursuit Alexandre, membre de l’association. Ce que confirme l’intéressé : « Didier Conques et la mairie de Paris ont tenté de me faire passer pour un mythomane animé d’une soif de vengeance auprès du Parquet de Paris. Je relate des faits précis qu’il nie de son côté. Plus tard, la mairie de Paris, en découvrant l’existence de ces preuves sans en savoir exactement le contenu, va chercher à me faire passer en Conseil de discipline pour avoir… enregistré et filmé ! » Par trois fois, la mairie cherchera à faire traduire Yanis en Conseil de discipline et ce, avec l’aval d’Anne Hidalgo. Au début des évènements, un cadre l’avait mis en garde : « Fais très attention ! En ce moment, il parle de toi au cabinet, il monte un dossier ». Mais qui est cet « il » ?