Avez-vous été surpris par la soudaineté et la sévérité des mesures édictées dans le motu proprio Traditionis Custodes ?
Oui, je ne m’attendais pas à ce que le pape François tape aussi fort. Au fond, ce motu proprio, purement disciplinaire, n’est pas doctrinal. Disciplinaire, car il s’agit pour le pape François de détruire la fécondité des instituts Ecclesia Dei, et du mouvement traversant l’Église en ce moment, et qui mène à une communion des rites. On s’est aperçu que le rite ancien pouvait apporter le sacré, la transcendance et l’adoration, quand le rite nouveau amenait la participation et la proximité. Depuis 1988 et le motu proprio Ecclesia Dei de Jean Paul II, l’Église a progressivement pris conscience de la complémentarité des rites.
Je pense que beaucoup de jeunes prêtres en paroisse pratiquaient un mélange des deux et apportaient à leurs fidèles une part de la verticalité du rite traditionnel. Je m’inscris parmi ceux qui insistent sur la participation au sein du rite traditionnel, et je crois qu’il est très important pour l’avenir du rite traditionnel de développer cette réalité.
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Nous étions dans une situation apaisée, rien à voir avec les conflits des années 70, 80 voire 90. Et brusquement, le pape François décide de déterrer la hache de guerre. Son motu proprio est clairement écrit pour réaliser l’extinction du rite traditionnel. L’exemple le plus frappant – outre le fait qu’il refuse toute nouvelle implantation – est que les prêtres ordonnés après ce motu proprio, ne pourront dire la messe traditionnelle qu’en demandant l’autorisation à leur évêque, qui lui-même demandera à Rome si c’est opportun. Autant dire que dans l’esprit du pape, cela ne sera jamais opportun. Il s’agit en fait d’une interdiction déguisée, et pas très bien déguisée d’ailleurs.
Comprenez-vous les griefs du souverain pontife à l’égard des traditionnalistes, à savoir que la liturgie traditionnelle est utilisée pour rejeter le concile Vatican II ?
Je m’oppose fortement à un quelconque fétichisme de Vatican II. Fétichisme qui n’a rien à voir avec l’infaillibilité théologique du concile lui-même. Il s’agit d’un concile pastoral qui est intervenu dans l’histoire de l’humanité à un moment d’extraordinaire optimisme. Or aujourd’hui nous sommes dans une période extrêmement sombre, extrêmement noire. L’optimisme qui a fait Vatican II est donc bien oublié. L’Église ferait bien de s’adapter à la nouvelle donne sociale à laquelle elle a affaire, notamment l’appauvrissement des populations dites « riches », au désespoir et à la perte généralisée des repères. Sans parler de la violence entre les religions, engendrée par les revendications de l’islam radical. Le recours à la vertu universelle de Religion pour un dialogue inter-religieux apaisé (prôné par Vatican II) ne suffit plus, surtout à l’heure où l’on découvre que la religion au son d’ « Allah Akbar » peut devenir un vice meurtrier.
Visiblement, on préfère une Église définitivement pauvre en prêtres, mais au sein de laquelle on aura méthodiquement détruit toute forme de concurrence
Nous sommes dans un temps complètement différent des années 70. Il est donc naturel que les catholiques cherchent autre chose que Vatican II pour y faire face. Cela ne constitue pas une condamnation de Vatican II en soit, mais ce concile est l’expression d’un autre temps, d’une autre époque. Et je crains que le vieux pape que nous avons, ne sache pas discerner cette vieillesse de Vatican II.
Le pape écrit que le comportement des traditionnalistes « contredit la communion, nourrissant cette pulsion de division […] C’est pour défendre l’unité du Corps du Christ que je suis contraint de révoquer la faculté accordée par mes prédécesseurs ». Que pensez-vous de cette déclaration ?
Je pense que c’est lui qui contredit la communion. Nous sommes dans un cas de figure rare, envisagé par les théologiens, où le pape détruit une communion qui est en train de se faire et à laquelle il faut évidemment du temps, mais aussi une vraie confiance des uns envers les autres. Et c’est cette confiance qu’il détruit. Qu’un pape puisse défaire ce que son prédécesseur a fait, avec une telle facilité, en deux pages, cela pose un problème sur l’institution qu’il dirige et sur sa fiabilité. D’ailleurs, le pape avait déclaré lors d’une de ses conférences dans un avion (qui lui sont familières), au journaliste de La Croix Nicolas Senèze, qu’il n’avait pas peur des schismes. Cela au mépris de sa tâche de pasteur, de rassembleur. Nous ne pouvons que constater aujourd’hui qu’il n’a effectivement pas peur des schismes, de trancher dans le vif, de couper, de séparer, plutôt que d’unir.
Sur le plan pratique, qu’est-ce que cela va changer pour les diverses communautés ?
D’abord, les nouvelles assemblées ne pourront être le fait que de l’évêque du lieu. Les instituts de droit pontifical qui ont été créés pour guérir les blessures du combat liturgique des années 70 n’ont plus le droit de s’installer quelque part, de créer de nouvelles structures, de grandir. En un sens hallucinant, elles n’ont plus le droit d’être le « levain dans la pâte », comme le prescrit pourtant l’évangile à chaque chrétien. À terme, il s’agit donc bien de supprimer ces communautés en obtenant d’abord l’extinction du recrutement des séminaires. En effet, sans implantation nouvelle, les jeunes séminaristes n’auront pas d’autre choix que de devenir les doublures de leurs aînés.
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Ce que la hiérarchie actuelle de l’Église ne comprend pas, c’est ce recrutement des prêtres au sein de la tradition, comparé aux séminaires « nouvelle manière » supposément adaptés au temps et au lieu. Alors, ne comprenant pas cette expansion, le pape joue le tout pour le tout dans ce motu proprio pour la détruire, au risque de pénaliser l’Église. Visiblement, on préfère une Église définitivement pauvre en prêtres, mais au sein de laquelle on aura méthodiquement détruit toute forme de concurrence.
À terme, craignez-vous la non-reconnaissance de l’ordination des prêtres venant des communautés traditionnelles par le Saint Siège ?
Non car théologiquement cela n’est pas possible. Autant il y a une tentation absolutiste chez François, autant il ne peut pas faire absolument n’importe quoi avec le dogme. Un évêque qui reçoit le sacrement de l’épiscopat – comme l’a fait comprendre Vatican II qui a théorisé la sacramentalité de l’épiscopat – ne peut voir invalidées les ordinations qu’il réalise. La question de la validité des ordinations n’est donc pas en cause. Mais le but est de les empêcher, et surtout d’envoyer ce signal aux jeunes aspirants prêtres que s’ils choisissent les instituts Ecclesia Dei, ils seront promis à un cursus ecclésiastique avorté d’avance. Ils n’auront pas de mission, pas de travail. C’est déjà ce que nous vivons un peu à l’Institut du Bon-Pasteur, puisque nous sommes réputés comme étant « les plus méchants ». Les évêques ne nous « trouvent » pas de travail, ou refusent littéralement celui que l’on apporte.
Que deviendront les prêtres qui ne seront plus autorisés à célébrer la messe sous le missel de 1962 ?
Ils n’auront pas d’autre choix que de célébrer la messe sous le nouveau missel, sauf à en faire la demande au pape lui-même. C’est une absurdité doctrinale, parce que la liturgie est essentiellement tradition. C’est la loi de la prière qui détermine la loi de la foi, et pas l’inverse. Encore faut-il que cette loi de la prière ne soit pas émise par des commissions rapidement réunies de pseudos experts ou d’experts autoproclamés, comme l’avait déploré le pape Benoît. La liturgie est vraiment le lieu de la tradition, et pas le terrain d’affrontement des dernières forces chrétiennes, hâtivement rangées en Église.