Notre correspondante Caroline Torbey vivait dans le quartier d’Aschrafieh, à quelques centaines de mètres du port de Beyrouth. Elle montre une photo des ruines qui furent sa maison. Quand on lui demande si raviver ces souvenirs ne la peine pas trop, elle s’étonne presque : « On vit un tel enfer en ce moment que j’avoue l’avoir presque déjà banalisé ».
L’enfer : c’est le mot juste. La terrible explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 résonne comme le cri de détresse d’un pays qui n’a cessé de mourir. Les dégâts sont estimés à plus de 350 millions de dollars par le directeur du port, Bassem Al-Qaisi. On dénombre 200 morts, plus de 6 500 blessés, et une centaine de milliers d’habitations endommagées ou détruites. Les rapports s’enchaînent et se contredisent sur la responsabilité de l’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stocké dans les entrepôts côtiers. Ce simple fait prouve à lui seul, pour les Libanais, l’incurie totale de leurs élites. L’ancienne puissance régionale à l’économie florissante et au style de vie occidentalisé sombre un peu plus chaque jour. La Banque mondiale est formelle : le pays du Cèdre traverse la pire crise économique de l’histoire moderne – sans la moindre perspective d’amélioration. Selon le rapport émis le 1er juin, la livre a perdu 85 % de sa valeur depuis le défaut de dette de 2020. On attend une contraction de l’économie de 10 % cette année. Pour le dire simplement, une guerre se paie moins cher.
Le puzzle politique interne
Le pays faisait pourtant figure de havre de paix dans un Proche-Orient en explosion permanente. Diverses communautés y cohabitaient dans un relatif équilibre, du moins depuis la fin de la guerre civile. La résilience des Libanais, la force économique de la première diaspora du monde et le dynamisme du port de Beyrouth en faisaient un exemple de concorde multiculturelle dans une région autrement déchirée par les conflits religieux. [...]
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