Disons-le tout net : personne de sensé ne peut souscrire au récit de Vladimir Poutine qui a justifié l’agression de la Russie. Une agression d’une grande violence à laquelle nous aurions dû nous préparer et nous attendre. En reconnaissant mardi 22 février l’indépendance des deux Républiques de Donetsk et du Donbass – sur le modèle de ce qu’il avait fait en 2008 avec l’Ossétie du Sud -, Vladimir Poutine admettait implicitement que ces deux Républiques avaient le droit légal d’attaquer Kiev. Cette première étape, prélude à un blitzkrieg décidé très en amont, avait pour but d’imposer la narration russe voulant que l’Etat ukrainien serait dirigé par une junte de « drogués », de sympathisants nazis et de laquais des Etats-Unis. Cette rhétorique (in)digne des grandes heures de l’URSS sous domination stalinienne, reprise à bon compte par les fourriers français des intérêts du Kremlin, n’a pas caché les véritables intentions d’un président russe passé du statut de despote « éclairé » à celui de véritable dictateur.
Rejetant toutes les tentatives de dialogues initiées par la France, les institutions européennes et l’Etat ukrainien, Vladimir Poutine a adressé une fin de non-recevoir en nous signifiant que nous n’étions plus des interlocuteurs crédibles. Il a, du reste, manipulé Emmanuel Macron pendant 5 ans. Ce dernier a cru pouvoir amadouer l’ogre … sans résultat. Churchill n’a-t-il pas un jour dit qu’un « conciliateur est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant qu’il sera le dernier à être mangé » ? On a pu croire un temps que Vladimir Poutine souhaitait sincèrement se rapprocher de l’Europe. Il a probablement voulu le faire … mais uniquement à ses conditions.
Paranoïaque, Vladimir Poutine a utilisé le prétexte de la « sécurité russe » pour aller au bout de sa démarche stratégique ; impérialiste, belliqueuse et revendicative. Nous aurions tort de continuer à parler d’une Europe de « Brest à Vladivostok » ou de « l’Atlantique à l’Oural ». Désormais, l’Europe s’arrête à Kiev. Elle ne passe ni par Minsk ni par Moscou. Et si le tort en incombe aussi aux institutions européennes comme à Washington, le principal responsable se trouve à Moscou. En remettant la guerre au cœur du continent, en violant la souveraineté d’un pays qui n’aspirait qu’à ressembler à la Pologne plutôt qu’à la Biélorussie du tyran d’opérette Loukachenko, en violant le droit international sans sourciller, en humiliant ses homologues européens et en brandissant la supériorité supposée de ses armées comme son absence évidente de limites ; Vladimir Poutine a revêtu les habits d’Attila.
Quand un ennemi nous pointe du doigt, il faut faire front. La Russie ne veut pas la paix. Elle veut la conquête.
Il est aujourd’hui inutile de chercher à savoir pourquoi l’ogre s’est fâché. Il est même masochiste de continuer à nous autoflageller en s’interrogeant sur nos manquements, nos faiblesses vis-à-vis des Américains, nos failles militaires ou notre déclin collectif. Quand un ennemi nous pointe du doigt, il faut faire front. La Russie ne veut pas la paix. Elle veut la conquête. Elle veut symboliquement nous marcher dessus parce qu’elle juge que la chute de l’Union soviétique a été faite à son désavantage exclusif. Si nous ne trouvons pas un moyen de la faire reculer à Kiev, qui dit qu’elle ne voudra pas plus demain ? Qui dit qu’elle ne s’attaquera pas à un pays de l’Union européenne voire un pays de l’Otan ? Elle s’est d’ailleurs dite prête à employer la force si d’aventure la Finlande était intégrée à l’OTAN.
Le problème est que c’est la Russie qui a poussé l’Europe orientale dans les bras de l’OTAN. Et elle a fait malheureusement la démonstration à toutes les nations de la région qu’ils avaient les meilleures raisons d’avoir peur. Poutine subjugue, par sa force et son absence de retenue à l’employer, une partie de nos contemporains. Quand vous leur dites Poutine, ils pensent Pouchkine. De manière subtile et insidieuse, la propagande russe a tissé une véritable toile dans le monde politique, médiatique et économique européens ; singulièrement en France et en Allemagne. Il ne faudra plus le tolérer à l’avenir.
En 2008, la Géorgie et l’Ukraine présentèrent leurs candidatures pour intégrer l’OTAN. France et Allemagne s’y sont alors opposées par un veto qui n’a jamais été révisé. Ce n’est même pas un sujet de discussion. C’est un bobard. La vérité est que la Russie ne supporte pas qu’une nation qu’elle considère sœur, et même russe par essence, puissent se vivre en tant qu’Etat. Il y a d’ailleurs une histoire contre-insurrectionnelle d’une grande violence en Ukraine, ayant abouti au massacre par la famine d’Holodomor. Depuis 2004, la Russie tente de sortir l’Ukraine du giron européen. Mais elle n’a jamais fait ce qu’il fallait pour y parvenir. Plutôt que de susciter l’envie avec des politiques d’influence bien senties et profitables aux deux parties, elle s’est aliénée l’Ukraine en maniant constamment le bâton et en ne proposant pas un contre-modèle grand-russe pertinent. C’est là, au fond, l’erreur majeure de Poutine dans sa tentative de restauration de l’empire.
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Quelques déclarations de Vladimir Poutine, notamment quand il a demandé à l’armée ukrainienne de démettre le président Volodymyr Zelensky, tendent d’ailleurs à prouver une forme de déconnexion. Pensait-il que les armées russes seraient perçues par les citoyens ukrainiens comme des libératrices du joug nazi ? Il a même réussi à rendre les plus tièdes fervents patriotes ukrainiens, réveillé un esprit farouche qui a mis la population en armes… Des moments symboliquement très forts qui n’ont que peu à avoir avec le récit d’une guerre chaude entre les Etats-Unis et la Russie. Du reste, les Américains ont déclaré depuis longtemps … qu’ils n’interviendraient pas militairement. Est-ce à dire qu’ils se réjouissent secrètement de la situation qui leur permet de sortir définitivement la Russie des relations internationales classiques ? C’est tristement probable.
Face à ces jeux malsains, l’Europe est totalement désemparée. L’Allemagne est dans un état de codépendance avec la Russie. Elle doit acheter son gaz à la Russie qui elle doit absolument le lui vendre. Elle est moralement et concrètement désarmée. Même les sanctions économiques l’effraient. Quant à nous, notre dissuasion nucléaire ne suffit pas face à un pays prêt à tout. Cette crise est en en revanche apocalyptique au sens étymologique de ce terme : elle nous montre que nous devons nous réarmer en profondeur et à tous les niveaux.
Tout est désormais possible, y compris une explosion de l’Union européenne.
Nous sommes seuls face à la Russie de Poutine avec une parodie d’Amérique relevant de SouthPark, la puissante Chine, la démographie africaine, le monde islamique et une Europe sénile en plein Alzheimer culturel. On a d’ailleurs tout lu les jours précédents l’attaque, parfois à droite, dans des registres d’une malhonnêteté carabinée. Nous sommes passés du stade de la dénégation – « Ils n’attaqueront jamais, ce sont des rumeurs américaines ! », à celui de la justification – « La Russie se défend contre l’agressivité occidentale, vous êtes poutinophobe », puis à celui de la pleine compréhension – « Ils attaquent pour se défendre ! ». Malades, les Européens le sont parce qu’ils jugent que leur décrépitude et le changement de civilisation doivent les condamner à la damnation, voire à la soumission au premier satrape venu.
Que le ministre de la Défense français rappelle à la Russie que, nous aussi, nous avons un arsenal, et voilà qu’il sera jugé coupable d’emballement. Ont-ils remarqué que c’est le président Poutine lui-même qui a rappelé à tous de quelle puissance de feu il dispose dans ses multiples interventions ? Le chemin de la paix n’est plus, mais peut-être est-il encore possible d’éviter celui de la guerre totale pour passer au registre ancien de la guerre froide. Les évènements des prochains jours seront déterminants. Si Poutine met l’Ukraine à genoux, voudra-t-il pousser son avantage ailleurs en jugeant les Occidentaux inaptes ? Dans les Pays Baltes ? En Moldavie ? Tout est désormais possible, y compris une explosion de l’Union européenne. Quoi qu’on en pense, la France par son histoire et son armée aura un rôle majeur à jouer dans la reconfiguration de l’Europe. Pour cela, elle doit avant tout renouer avec son identité. C’est en se ressourçant dans notre être profond civilisationnel que nous aurons la possibilité de revenir dans l’Histoire, la grande. Si nos « intérêts » priment, il est aussi de notre intérêt de soutenir le peuple martyr qu’est l’Ukraine, ne serait-ce que pour l’honneur.