[qodef_dropcaps type=”normal” color=”RED” background_color=””]P[/qodef_dropcaps]renant comme tout bon roman noir, Entre deux mondes, le dernier polar d’Olivier Norek conduit son lecteur dans le drame de la Jungle de Calais. Lieutenant de police par ailleurs, l’écrivain sait de quoi il parle quand il évoque la gestion catastrophique des flux de migrants en France.
Le livre s’ouvre sur un zodiaque surpeuplé en pleine mer Méditerranée. De nuit. Un enfant tousse. Le passeur ne fait pas dans le détail : un gosse qui éructe, c’est un chargement identifiable. Faut s’en débarrasser. Puis nous sommes en Syrie. Un capitaine, aux ordres de Bachar El-Assad, appartient en réalité à une cellule rebelle de l’Armée syrienne. Les massacres contre les civils l’ont convaincu qu’il ne peut plus sauver son pays. Mais il peut sauver sa femme et sa fille. Elles feront le voyage jusqu’à Calais. Lui, les rejoindra quelques jours plus tard pour passer en Angleterre, chez son oncle.
Bienvenue à Calais !
Calais, donc. Aux côtés d’un jeune lieutenant ayant demandé sa mutation au commissariat calaisien pour raisons familiales. Il nous fait découvrir la réalité du terrain. La réalité de la fameuse Jungle où s’entassaient 10 000 personnes, hommes, femmes et enfants, venus disait-on des pays les plus dangereux de la planète. La réalité vécue par des forces de l’ordre anéanties par une mission insoutenable.
Olivier Norek, avec Entre deux mondes, nous plonge dans un polar à faire froid dans le dos. Lui-même lieutenant de Police Judiciaire de Seine-Saint-Denis, il s’est mis en disponibilité pour écrire ses romans. Il connaît la musique. Du point de vue policier, bien sûr. Mais aussi à propos de la Jungle de Calais. Pour composer ce roman coup-de-poing, il y est entré. Dans la Jungle.
Cinq parties à couper le souffle : Fuir, Espérer, Résister, Survivre, Sombrer ? — comme la tragédie moderne du politiquement correct, généré par la bien-pensance généralisée. L’art du roman permet, à travers des personnages incarnant des situations humaines singulières, de mettre en relief des problématiques sans prononcer de jugement manichéen. Ici, nous sommes dans le plus grand bidonville du monde, dans une zone de non-droit où la police ne peut pas remplir la mission qui est la sienne : protéger les citoyens. Un article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen porte sur la « sureté », et il n’est pas douteux que l’habitant de Calais soit un citoyen. Les migrants, parqués, fuient la guerre, d’après les médias officiels. Ils veulent passer en Angleterre or la frontière de l’Angleterre n’est pas à Douvres mais à Calais – ce sont les accords du Touquet qui le disent. Des ethnies rivales s’entretuent dans cette Jungle. Afghans contre soudanais. Les migrants sont des « réfugiés potentiels », autrement dit des humains sans obligations ni devoirs vis-à-vis de la France.
Allo ? Allo ? Il y a quelqu’un qui gouverne ?
Situation de blocage pour les forces de l’ordre ayant pour mission de les faire reculer lorsqu’ils attaquent camions et chauffeurs aux abords de la douane. Un chauffeur ayant transporté jusqu’en Angleterre des migrants dans le coffre de son camion se voit infligé 2000 euros d’amende par migrant. Dissuasif. Jusqu’à la folie. Aussi ces migrants, fuyant parfois la guerre et bloqués dans un lieu insalubre, sans qu’une autorité politique ait su prendre une décision responsable quant à cette tragédie humaine, deviennent des cibles pour les recruteurs de l’EI. Des cibles mais aussi des humains appartenant à des sociétés ayant une toute autre façon de vivre que la nôtre. Et respectant souvent peu les femmes.
Norek met en relief nombre de principes législatifs transgressés par les autorités de l’État à travers la gestion de la Jungle de Calais. Ces transgressions de la loi par l’État se font sous la pression idéologique de l’humanisme à la française et dans le cadre sclérosé de l’administration. Par les intérêts économiques aussi. Par des principes politiciens couards. Un État à bout de souffle ne protégeant plus personne et laissant ses principes fondateurs se faire bafouer. Un État qui annonce pourtant, au petit matin du 10 octobre, que la France s’engage à accueillir 10 000 migrants, dont 7000 en provenance de pays qui ne sont pas en guerre (information Europe 1, Matinale de Patrick Cohen).
Dans le roman de Norek, il y a des femmes et des hommes. Des vrais. Comme dans la vraie vie. Et leur héroïsme éclaire la nuit noire de cette sombre humanité.