J’ignore si la réalité sort bien de la bouche des enfants, mais je sais en revanche qu’elle ne sort pas de celle des ados ». Au bout d’un certain nombre de bouteilles de Saint-Joseph ou de tout autre liquide de même nature, il peut arriver à des personnes un peu échauffées de proférer des horreurs, et parfois même, des banalités. C’est ce que pensa E. immédiatement après avoir prononcé cette sentence définitive, et en constatant qu’elle provoquait chez les autres convives des hochements de tête silencieux. Eux aussi avaient dû expérimenter la chose.
« Enfin Malherbe vint » : en l’occurrence, Chantal de S., toujours prête à saisir l’occasion de houspiller son ennemi favori.
– Et dites-moi, mon cher E., qu’est-ce qui a pu vous conduire à des conclusions aussi prodigieusement originales ?
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Le susdit se renfrogna, conscient d’avoir était pris en faute, et vida un verre supplémentaire enfin de s’éclaircir la gorge :
– Boniface, mon fils aîné, cherchant un stage dans l’administration, un ami a réussi à lui en trouver un, pour lequel était exigée une lettre de motivation. Le fiston se met à l’œuvre, barbouille une missive qui ne ressemble pas exactement à Bossuet, et la termine par un vigoureux « bien cordialement » avant de me demander mon avis. Et c’est cette dernière formule qui me reste en travers de la gorge. On a beau envoyer son courrier par voie électronique, je ne vois pas pourquoi le truchement de la machine entraînerait l’abolition des usages épistolaires, pas plus du reste qu’il n’implique le renoncement à l’orthographe. Je le lui signale, rappelant au passage l’importance de la personne à laquelle il adresse sa demande, et je lui suggère donc de terminer sa lettre par le classique : « Je vous prie, Monsieur le…, de bien vouloir agréer mes salutations les plus respectueuses ». [...]
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