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Mort de Gorbatchev : le tombeau de la perestroïka

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Publié le

1 septembre 2022

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« Nous avons tout – un parlement, des cours de justice, un président, un premier ministre et ainsi de suite. Mais tout ceci n’est qu’une parodie. » Ainsi s’exprimait Mikhaïl Gorbatchev il y a dix ans, en février 2011, à l’occasion d’une conférence de presse donnée avant son quatre-vingtième anniversaire. La mort de l’ex-Secrétaire général du PCUS, survenue le 30 août 2022 à Moscou, rappelle symboliquement l’échec de la transition démocratique russe.
gorbatchev

Vingt ans après la disparition de l’URSS, l’ex-Secrétaire général du PCUS et dernier dirigeant de l’Union soviétique, faisait le constat amer de l’échec de la démocratie en Russie, alors que Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev s’entendaient entre eux pour partager le pouvoir, en vue des élections présidentielles de 2012. « Ce n’est pas le rôle de Poutine. Cela doit être décidé par la nation au travers des élections. » Les élections ont bien eu lieu, en mars 2012, permettant à Vladmir Poutine, redevenu Premier ministre de 2008 à 2012, de briguer un troisième mandat présidentiel alors que Medvedev reprenait ses anciennes fonctions de Premier ministre. Depuis, Vladimir Poutine a été réélu en 2018 et le sera encore vraisemblablement en 2024. Dimitri Medvedev est, quant à lui, resté à la tête du gouvernement russe jusqu’en 2020, pour être remplacé aujourd’hui par Mikhaïl Michoustine.

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Le parti présidentiel, Russie Unie, domine systématiquement les élections, qu’elles soient présidentielles, législatives ou municipales, au point que les autres formations politiques font de la figuration et que les spécialistes de sciences politiques parlent, à propos de la Russie, de « démocratie guidée ». Gorbatchev, en 2011, évoque quant à lui une sorte de parodie de l’ancien système soviétique : « Russie Unie me fait penser à une mauvaise copie du Parti communiste. Nous avons des institutions mais elles ne fonctionnent pas », concluait l’ancien dirigeant soviétique en 2011. De fait, au cours des dernières élections présidentielles, Russie Unie a recueilli 76,6 % des voix, devant son principal concurrent, le Parti communiste de la Fédération de Russie, et son candidat Pavel Groudinine, qui a recueilli 11,7 % des voix. En 2021, Russie Unie, représentée par le ministre de la Défense Sergueï Choïgou rassemble presque 50 % des voix. Le Parti communiste arrive en seconde position avec moins de 19 %. Mikhaïl Gorbatchev n’avait certainement pas imaginé que la démocratie perpétuerait aussi efficacement le vieux système politique après sa supposée chute.

Lutter contre la sclérose soviétique

Gorbatchev n’a pas souhaité la chute de l’URSS quand il était au pouvoir, bien qu’il ait été accusé par la frange la plus conservatrice du Parti communiste d’avoir accéléré la désagrégation de l’empire soviétique par l’entremise de ses réformes. Né le 2 mars 1931 à Privolnoïe, dans l’actuel kraï de Stavropol, petite province du Caucase, Mikhaïl Gorbatchev, qui a grandi dans une famille de kolkhoziens, est marqué, alors qu’il est âgé de six ans, par l’arrestation de son grand-père maternel, victime en 1937 des purges staliniennes, alors que son grand-père paternel avait déjà été déporté en 1934. Après avoir adhéré aux jeunesses communistes du Komsomol, puis au Parti communiste lui-même, à l’âge de vingt ans, Gorbatchev, remarqué par Iouri Andropov et l’apparatchik Mikhaïl Souslov, membre du Politburo qui le prend sous sa protection, gravit rapidement les échelons du pouvoir, jusqu’à accéder lui-même en 1980 au Politburo, la plus haute instance du Parti. C’est à la faveur de la prise de conscience par la classe dirigeante du déclin de plus en plus marqué de l’URSS que Mikhaïl Gorbatchev va pouvoir se hisser sur la plus haute marche du pouvoir et devenir Secrétaire général du Parti communiste en 1985.

L’action de Gorbatchev a beau être unanimement louée par les dirigeants occidentaux, ces derniers ne l’ont pas beaucoup aidé au moment crucial où l’URSS entame une transition difficile, voire impossible, de l’autoritarisme soviétique vers la démocratie libérale

À la fin des années 1970, et avant même que ne trépasse le gérontocrate Brejnev, les dirigeants soviétiques ont bien conscience que l’URSS est entrée dans une phase de déclin avancé. Elle est clairement à la traîne des économies occidentales, alors même que l’autre puissance communiste, la Chine, a entamé, à partir de 1978 avec Deng Xiaoping, une mutation radicale destinée à rétablir partiellement une économie de marché, encadrée par un système autoritaire. Alors que la République populaire de Chine parvient à assurer la transition vers « l’économie socialiste de marché », l’URSS se sclérose. La reprise de la course aux armements et la guerre en Afghanistan aggravent encore les perspectives géopolitiques et économiques. Conscients du problème, les dirigeants soviétiques favorisent l’accession au pouvoir d’une nouvelle génération, celle de Gorbatchev, qui a 54 ans quand il devient le nouveau Secrétaire général du parti.

Un bilan en demi-teinte

Le bilan de Gorbatchev donne lieu à des interprétations contrastées en occident et en Russie. L’aspect le plus paradoxal de cet héritage historique est que l’action de Gorbatchev a beau être unanimement louée par les dirigeants occidentaux, ces derniers ne l’ont pas beaucoup aidé au moment crucial où l’URSS entame une transition difficile, voire impossible, de l’autoritarisme soviétique vers la démocratie libérale. Certains ont blâmé Gorbatchev d’être allé à la fois trop loin et pas assez, remettant en cause la règle du parti unique, tout en tentant malgré tout de maintenir en place un système politique – et idéologique – à bout de souffle. Pouvait-il en être autrement ?

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Quand Gorbatchev arrive au pouvoir, le degré de déliquescence auquel est parvenu l’URSS détermine déjà un point de non-retour et la fin du vaste empire soviétique est déjà consommée quand, le 26 avril 1986, à 1h23 du matin, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose à la suite d’un test de sûreté mal mené. La réaction première des autorités, qu’elles soient locales ou nationales, est de tenter par tous les moyens d’étouffer l’accident, retardant d’autant l’évacuation des habitants de la zone, en particulier ceux de la ville de Pripyat, en Ukraine. Le premier sarcophage érigé sur le site de la centrale, de mai à décembre 1986, devient symboliquement celui de l’URSS.

Les efforts de Gorbatchev pour réformer l’Union et conserver son unité se heurtent à la fois aux difficultés économiques immenses et aux rivalités et aux appétits politiques. L’élection à la présidence de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) de Boris Eltsine (élu dès le 1er tour au suffrage universel direct), en juin 1991, diminue le pouvoir de Gorbatchev et la souveraineté de l’URSS. Le 17 mars 1991, un référendum portant sur la question du maintien de l’Union soviétique donne 76 % de réponses favorables au maintien mais la chute du mur de Berlin le 13 novembre 1989 a déjà initié un mouvement que rien ne saurait désormais arrêter.

Une transition démocratique ratée

Après la vague d’indépendances en série qui voit les « républiques sœurs » (comme l’Ukraine) ou les États satellites (comme la Pologne) gagner leur indépendance entre 1989 et 1990, la tentative de putsch menée en août 1991 par les tenants de la ligne dure au sein du Parti communiste, marginalise définitivement Mikhaïl Gorbatchev, qui ne reçoit pas – c’est un euphémisme – le soutien escompté de la part des dirigeants européens. François Mitterrand déclare même vouloir attendre les intentions des « nouveaux dirigeants » soviétiques…avant de réaliser son erreur avec l’échec du putsch initié par Guennadi Ianaïev et ses soutiens. Quand Gorbatchev annonce sa démission le 25 décembre 1991, le PCUS a déjà été officiellement dissout un mois plus tôt et la Communauté des États indépendants (CEI) a déjà remplacé l’URSS avec les accords de Minsk et d’Alma-Ata, signés les 8 et 21 décembre 1991.

Avec Gorbatchev s’éteint très symboliquement l’espoir d’une hypothétique perestroïka qui aurait pu sortir la Russie d’une longue tradition autocratique

Depuis sa retraite forcée, Mikhaïl Gorbatchev a pu voir la nouvelle Fédération de Russie plonger dans le chaos avec Boris Elstine, puis Vladimir Poutine arriver au pouvoir avec la promesse de restaurer la puissance et le prestige perdus avec la chute de l’URSS, jusqu’à placer aujourd’hui son pays et l’Europe entière au bord de l’abîme en tentant d’envahir l’ex-« république sœur » ukrainienne. Forcé de constater l’échec patent de l’installation de la démocratie en Russie, Gorbatchev aura sans doute toujours gardé en mémoire la locution de Cicéron qu’il avait, paraît-il, apprise par cœur : Dum spiro, spero, « Aussi longtemps que je respire, j’espère »  (Lettres à Atticus. Tome IX, lettre 10). Et de même que Cicéron emportait dans la mort le souvenir d’une république depuis longtemps abattue, avec Gorbatchev s’éteint très symboliquement l’espoir d’une hypothétique perestroïka qui aurait pu sortir la Russie d’une longue tradition autocratique.

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