Le dimanche 20 novembre retentira le coup de sifflet du premier match de la Coupe du monde au Qatar, qui opposera le pays organisateur à l’Équateur. Le mondial aura lieu dans huit stades de Doha, dont sept ont été construits pour l’occasion. Pour le lecteur de Limite, désormais orphelin, précisons que ces stades en plein air seront climatisés, et que la facture carbone de la compétition, que le Qatar tente de maquiller, promet de battre tous les records. Pour le lecteur de L’Équipe, une Coupe du monde en hiver, c’est une meuf sans nibards (si, le lecteur de L’Équipe aurait métaphorisé en ces termes). Pour le lecteur de Libé, c’est un risque pour les supporters qui auraient l’idée amusante d’agiter un drapeau LGBT en tribune.
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Mais pour nous, bons sujets du royaume de France, que signifie cette Coupe du monde au fond du désert ? On ne peut ignorer, comme le font allègrement les grands du football mondial, et avec un peu plus d’amertume mais pas de courage les grands dirigeants occidentaux, la situation des travailleurs étrangers au Qatar. On ne parle pas seulement des plus de six cents d’entre eux, une estimation émanant d’associations qataries sûrement optimistes, qui sont morts spécifiquement sur le chantier des stades. Pas même seulement des 6500 qui ont péri dans le pays entre 2010 et 2020, dans tout type de travaux.
Dans un ouvrage très fouillé sorti en octobre aux éditions Marchialy, Les Esclaves de l’homme pétrole, deux journalistes français racontent la situation de ces hommes et femmes étrangers au Qatar. Ils sont allés les rencontrer, sur les bords du lac Victoria au Kenya, dans les montagnes népalaises, au retour de l’émirat, et tous racontent l’enfer : le système de la kafala, qui assujettit dans les pays du Golfe les travailleurs à leurs patrons, dans un statut assez comparable au servage médiéval; les salaires misérables, les logements insalubres, la nourriture avariée, les coups et les viols ; et la solitude absolue, l’incapacité de se tourner vers l’État qatari, qui se fiche bien de faire appliquer sa maigre législation sur la protection des travailleurs. D’ailleurs, on parle du Qatar, mais la situation est la même partout dans le Golfe. Ce livre, un des seuls de langue française à s’attaquer sérieusement au sujet, décrit l’horreur des sévices quotidiens qui côtoie l’opulence la plus crasse, la plus dégoulinante de ces nouveaux riches de la rente pétrolière, qui élevaient des chèvres dans les dunes il y a trois générations. À vomir.
Ce livre décrit l’horreur des sévices quotidiens qui côtoie l’opulence la plus crasse, la plus dégoulinante de ces nouveaux riches de la rente pétrolière.
La vérité, c’est qu’alors que l’Occident disserte avec un appétit étonnant sur la couleur des chaussettes, des discriminations systémiques qu’y subissent les minorités, le racisme, le vrai, qui fouette et affame, est partout où lui n’est pas. Grâce à l’amour du Christ et à la raison grecque, nous vivons dans la seule civilisation qui a banni ce qui a toujours été la loi de l’homme, la haine et le mépris des autres peuples. C’est parce qu’ils sont noirs ou jaunes que les travailleurs du Tiers-Monde sont persécutés par les Golfiens obèses. Voilà, il a suffi de la loupe d’une Coupe du monde pour que nous voyions un pays où l’air pur de l’Ouest n’avait jamais coulé. Et voilà ce que nous y avons trouvé. Alors au lieu de se torturer avec les perversions des idées généreuses qu’il a enfantées, l’Occident devrait plutôt relever la tête, gonfler le torse. Même après la fatigue de tous ces siècles de grandeur, il demeure le seul espoir pour le monde d’une vie plus grande, libérée un peu des chaînes stupides qui bornent l’humanité moyenne. Dieux du stade, faites qu’une équipe européenne soulève la coupe !