J’aime la période de l’Avent pour d’autres raisons que lorsque j’étais enfant et quoi qu’il s’agisse de raisons proches. Il est toujours question d’attendre que quelque chose advienne, de cultiver cette attente, une mise sous tension dans les nuits étirées. Les guirlandes électriques ornant les vitrines sont un bel indice du phénomène. Sauf que je n’attends plus une pile de cadeaux mais l’accomplissement de grandes promesses par lesquelles m’arracher à la mort, qu’il s’agisse de la mort physique comme de la mort spirituelle, la seconde, contrairement à la première, se présentant sans cesse à nous. On meurt par l’oubli de notre vocation profonde ; on meurt par fatigue, à ne plus rien chercher de neuf dans les plis de l’existence ; on meurt par relativisme, surtout aujourd’hui, à tout confondre pour ne plus rien assumer, laissant ce qui compte crever sous l’avalanche du factice. Comme le fait l’Europe depuis plus d’un demi-siècle. L’Européen actuel, aussi débraillé que déchristianisé, n’a d’ailleurs plus que quelques cadeaux à attendre au moment de fêter la fin de l’année, c’est-à-dire une convention privée de sens, ce qui, au regard de l’ancien calendrier liturgique, en fait un enfant de 5 ou 6 ans, encore seulement sensible à la dimension matérielle du monde, sachant à peu près se repérer dans le temps mais ne croyant plus aux légendes ; un primitif, en somme, mais en fin de course.
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S’offrir des cadeaux n’en est pas moins une très belle chose, loin de nous l’idée de la bouder, et comme nous ne sommes pas relativistes, nous vous avons préparé dans ces pages de quoi surprendre les membres de votre famille et vos amis en vous évitant la vulgarité qu’il y aurait à leur tendre le dernier Goncourt, ce pavé inoffensif auquel on préférera le dictionnaire caustique de Samuel Piquet, le premier roman échevelé de Constance Courson (enfin une femme qui n’écrit pas en victimaire), un vinyle de Viji ou d’une autre représentante de la bedroom-pop, ou encore La Planète sauvage, ce chef-d’œuvre du cinéma d’animation, genre peu connu du rayonnement français. En somme, de quoi éclairer les longues nuits autour du solstice.
N’oublions pas, cependant, au contraire des barbares, de faire de ces présents des signes, de ces surprises un entraînement à savoir se laisser surprendre. Les rites servent aussi à cela, à nous doter des bons réflexes. J’ai toujours eu en horreur ce lieu commun arguant de leur inutilité au prétexte qu’on pourrait chaque jour assumer ce qu’ils mettent à l’honneur sans avoir besoin de leur secours. On n’aurait nul besoin de la fête des défunts pour garder contact avec nos morts, des anniversaires pour célébrer nos proches, et de Noël donc, pour adorer la lumière au cœur des ténèbres comme la grâce de l’enfance et l’enfance de Dieu. Quelle présomption ! Quelle ignorance, aussi, de ce qu’est la nature humaine. « Moi, c’est chaque jour que je célèbre la vie ! » couine l’idiot. Non, la vie est une chose trop vaste et mystérieuse pour être assumée au quotidien si l’on n’en cultive pas tous les miroitements paradoxaux au sein d’un programme annuel conséquent. C’est à ça que servaient les fêtes avant que l’homo festivus de la post-Histoire qu’a si bien dépeint Philippe Muray n’en fasse ce débouloir permanent où régresser à l’aveugle.
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Retrouver le sens de la fête tient donc à une question bien plus grave qu’il n’y paraît, parce que la fête correspond justement au moment qui vise le sens. C’est un temps qui échappe à la production comme à la consommation, au loisir individuel comme au repos, à la stratification sociale comme à la fluctuation des modes, c’est un temps qui s’offre pour la communion dans la pure dépense afin que s’éclaire l’une ou l’autre facette de ce qui, dans notre vie personnelle ou collective, fait sens, et donc un moment qui illumine la nuit confuse où nous égarent les jours comme les autres.
Bref : sabrons le champagne, défions la nuit, retrouvons nos réflexes.