À Noisy-le-Sec, l’été devait se clore sur du rose bonbon : Barbie en plein air, film choisi par les habitants, rituel républicain d’un cinéma partagé. Il s’est achevé en couac. La mairie a annulé, invoquant des menaces de perturbations et de dégradations, et le ministre de l’Intérieur a saisi l’article 40. Le divertissement pour tous se mue en symptôme : là où la culture rassemble, la pression d’un petit groupe suffit à débrancher la prise.
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Au milieu du tumulte, un nom circule : Wiam Berhouma. À Noisy-le-Sec, elle n’est pas qu’une professeure d’anglais ; elle est surtout l’adjointe chargée de la culture, de l’éducation populaire et de « la transmission de la mémoire ». Un intitulé de portefeuille qui sonne comme un programme. Les notices officielles le confirment, photos de commémorations à l’appui.
L’endoctrinement comme cheval de bataille, à la télévision et à l’école
Cette jeune trentenaire s’est faite connaître bien avant l’hôtel de ville. Les Français l’ont découverte, micro en main, sur le plateau de l’émission Des Paroles et des Actes en 2016 : face à Alain Finkielkraut, elle intime, imperturbable : « Pour le bien de la France, taisez-vous ». Un morceau de télévision devenu archive d’époque, où l’enseignante s’en prend à la légitimité du philosophe pour parler des quartiers et de l’islam. La séquence, reprise partout, déclenchera une salve de vérifications : qui parle, d’où parle-t-elle ?
Rien de marginal : c’est la grammaire d’un progressisme municipal, à la fois éducatif et mémoriel, où la « culture » est chargée de réparer le monde.
Très vite, la presse pointe un pedigree militant : une proximité avec la galaxie du Parti des indigènes de la République (PIR) – ce courant décolonial qui théorise un « continuum colonial » français et dont la controverse est, depuis quinze ans, consubstantielle à l’existence. Marianne notait alors qu’elle n’était « pas si neutre » ; des documents de l’époque, dont un dossier de la LICRA, évoquaient une militante « très proche des Indigènes ». Une notice politico-encyclopédique l’a même répertoriée parmi des participantes ou candidates liées à des initiatives PIR. Berhouma, de son côté, a nié toute carte de parti. Mais le tropisme idéologique, lui, est resté.
Sur les réseaux, l’élue affiche l’identité d’« enseignante engagée », devenue responsable de la culture et des mémoires locales. On la retrouve à la manœuvre dans des projets urbains et culturels – « faire société à travers l’art et la culture », dit un carton d’invitation d’un centre d’art contemporain –, dans des rapports ministériels sur la « friction des mémoires », et dans ses chroniques d’un professeur qui emmène ses collégiens à New York pour parler immigration, citoyenneté et récit national. Rien de marginal : c’est la grammaire d’un progressisme municipal, à la fois éducatif et mémoriel, où la « culture » est chargée de réparer le monde. Côté endoctrinement de la jeunesse, même Staline n’aurait pas fait mieux. Ses week-ends, elle les passe Place de la République dans les manifestations pro-Palestine ou dans les mobilisations en soutien à Adama Traoré.

Le 7e art comme terrain de conquête
C’est aussi là que se noue l’ambiguïté. Car la politique des « mémoires » n’est jamais neutre. Le PIR – qu’on l’approuve ou qu’on le combatte – a précisément construit son influence sur cette fabrique : réécrire le roman national depuis ses marges, déconstruire l’universel républicain, sérier les appartenances. En faire la clé d’un mandat local, c’est accepter que la culture ne soit plus un bien commun, mais un champ de bataille. D’où l’épisode Barbie, en apparence anecdotique, en réalité éclairant : ce n’est pas seulement un écran qu’on replie, c’est un contrat civique qu’on rabote. Quand la municipalité explique avoir agi sous pression, elle valide que la menace – réelle ou supposée – a droit de veto. La pédagogie de l’émancipation se transforme en pédagogie de la renonciation. Sur ses réseaux sociaux, elle repartage notamment une projection du film Fanon de Hassane Mezine pour la commémoration de Diên Biên Phu : « symbole de la résistance anticoloniale : défaite de la France en Indochine ». Sur le tract est affiché le logo de la municipalité.
Et question cinéma, elle s’y connaît puisqu’elle a tourné dans le film anti-flic Avant que les flammes ne s’éteignent avec Camélia Jordana et le rappeur Sofiane. Un bide au box-office qui se contentera de seulement 23 000 spectateurs. Le réalisateur du film avait pourtant obtenu 90 000 euros d’argent public.
On objectera que l’affaire du film rose n’est que circonstance. Mais ce qui s’y joue déborde l’anecdote : l’alliance de l’institution municipale et l’installation d’une police des mœurs venue d’ailleurs. L’art se voit sommé de n’offenser personne – surtout la communauté musulmane, fond de réservoir électoral de l’équipe municipale en place –, et la mairie devient gestionnaire d’« irritabilités sociales ». Du Houellebecq en vrai. Dans ce monde-là, Barbie n’est plus que du mauvais cinéma, c’est un signe d’instauration de la charia ; et la culture une suite de procédures d’évitement.





