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Éloge du long temps

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Publié le

8 février 2018

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tempslong

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Cette époque nous tue en nous faisant croire à l’immortalité, et nous avons de moins en moins de souvenir même si nous avons mille ans.

 

« Vous serez comme des dieux ! » on sait comment ça a fini : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». On voudrait à tout prix éviter la mort et se prendre pour des dieux, mais des dieux anthropomorphes de la mythologie. On prise avec l’immortalité la condition du dieu oisif jouissant sans contrainte. Car, pour qui s’encombre de l’éternité, il ne reste que l’instant. Mais alors l’instant de quoi ? l’instant de ne rien faire, puisque rien ne dure, et rien n’engendre rien, l’instant sans réflexion, sans précaution, puisqu’une vie instantanée est libérée de l’histoire, de ses enseignements et de la responsabilité d’y laisser une trace.

 

Le temps devenu ennemi

 

Mais le temps fini, le temps long, qui avant même de nous caractériser nous définit mortel, est ce talon du chef Myrmidon, qui donne seul leur saveur aux combats du guerrier invincible. À l’heure où la modernité a délogé les saints-innocents du centre de Paris et remisé la mort aux caves des tabous, au grand moment du transhumanisme, qui voit déjà né l’homme de mille ans à grand coups de paquets de cigarettes neutres, de membres bioniques et d’avortements de trisomiques, on a fait de la finitude un scandale et du temps, un ennemi. Celui-là même qui nous définissait, nous offrait nos rêves d’avenir en même temps que notre histoire, et qui justifiait seul qu’on mît pas moins d’un siècle à bâtir une cathédrale si elle devait en vivre dix ! Ce temps-là est rejeté, avec tous les Memento Mori que notre époque abhorre, au profit de l’instant, le temps unique, le nunc suprême qui vient flatter notre toute puissance.

La science lentement acquise par les livres est délogée par une omniscience factice assurée par la réponse immédiate du smartphone et peut-être demain de l’implant cérébral. L’art, et les œuvres que le temps gratifiait d’immortalité laissent place à des œuvre éphémères que des « performers » commettent en retirant de leur geste toute la générosité de l’acte créateur ; comme si Leonardo aurait été Da Vinci s’il avait peint la Joconde à l’encre sympathique. Et l’art de vivre, devenu façon d’exister, est encore un reflet de cette trahison, d’une fuite de notre essence limitée et mortelle dans l’immortalité d’instants frivoles où les plaisirs, considérés comme dus dans l’instant, remplacent les joies gagnées au fil du temps. La culture du divertissement et de la fête est un complot généralisé contre le temps, et par là-même une coalition contre notre nature. Inscrits dans un temps fini nous sommes appelés à concevoir les temps courts et les temps longs, les nuits d’amour et les projets de famille, les journées de lecture et les années de transmission, les soirs d’ivresse et l’entretien de sa cave. Le temps n’est l’ennemi que des plaisirs futiles, des « binge drinking » et des orgasmes solitaires.

Toutes ces glorioles d’omniscience, de jouissance pauvre et d’immortalité bricolées au scotch seraient moins pathétiques s’il était possible d’étirer le temps sans diluer la vie. Quand nos corps trop faibles auront abdiqué et cédé à des serveurs nos esprits gratifiés d’une immortalité digitale, avant même cela quand les capsules « d’apport journalier » remplaceront les repas cruels et peu certains de viandes rétrogrades, quand le vin sans sulfite en un verre par mois sera seule alternative à l’eau empaquetée, quand la réalité virtuelle nous épargnera les dangers de la voile ou de l’alpinisme, quand 25 kg de silicone et un peu d’intelligence artificielle nous économiseront les affres de l’amour et quand le droit à l’enfant se troquera comme un ticket de pain, édité en faible nombre pour compenser la trop faible mortalité… il fera bon vivre mille ans. S’il est facile d’exagérer en parlant de telles choses il ne faut pas négliger que tout progrès imaginable n’est jamais très loin et que si c’est dans l’emphase qu’on émet l’hypothèse, c’est dans la réalité qu’on la vérifiera toujours.

 

Le terreau est prêt pour l’avènement de l’homme augmenté

 

Prenons l’exemple de la PMA pour tous. Un sondage de 1970 voyait seulement 24% des français favorable à telle pratique, contre pas loin de 60% aujourd’hui. Les analystes aux petits bras en déduisent alors que « les mentalités changent », sans y voir l’avènement véritable d’une dictature du possible due à l’incapacité d’inscrire les décisions d’aujourd’hui dans le temps — donc d’en envisager les effets différents termes. Ainsi le terreau est prêt pour l’avènement de l’homme augmenté, car ce n’est plus qu’une question de temps : tout ce qui est nécessaire à l’amélioration (trafic d’organe, eugénisme, surveillance généralisé, déterminisme social institutionnalisé) sera imaginé, puis techniquement possible et enfin sera fait. L’abolition du temps a donc le double effet vicieux de fermer les yeux et les consciences en enfermant l’homme dans l’instantanéité pulsionnelle et de motiver en contrepartie ce dernier à répéter cet instant jusqu’à l’infinie satiété, quoi qu’il en coûte.

L’abolition du temps a donc le double effet vicieux de fermer les yeux et les consciences en enfermant l’homme dans l’instantanéité pulsionnelle

Car le temps long c’est aussi le temps de la réflexion, par opposition au raccourci. Ce dernier tient de l’incapacité totale d’abstraction et d’analyse, à rapprocher de la mauvaise foi historique symptomatique du siècle qui consiste à juger les hommes d’hier avec les lois d’aujourd’hui. L’été dernier il s’agissait de juger les généraux bicentenaires de la guerre de sécession selon leur incapacité à se soumettre au politiquement correct actuel, mais la seule chose du monde à ne pas connaître de limite étant ce que l’on sait, les « millennials » (ceux qui ont grandi dans les années 2000) s’attaquent désormais à la série Friends (diffusée entre 1994 et 2004). En effet ces tous jeunes penseurs, découvrent avec horreur l’humour grossophobe, homophobe, transphode, claustrophobe (rayez la mention inutile) qu’on se permettait en l’an 15 avant Kev Adams.

Une génération complète a grandi sous le règne d’une pensée unique et conçoit aujourd’hui la réflexion comme un simple jeu de formes, qui consiste à mettre les ronds avec les ronds, le bien avec le bien et les hispanophobes sexistes avec les opposants d’Anne Hidalgo. La joie de voir les paradoxes s’unir et les causes communes s’affiner en se divisant, ne lui est pas offerte. La pilule contraceptive et le tri sélectif sont modernes, l’écologie intégrale est réactionnaire. Le mâle blanc est sexiste, le musulman polygame est multiculturel, etc. Car, pour revenir à la série télévisée dont il est question, qui fut d’ailleurs à bien des égards, précurseur dans le libéralisme sociétal (rappelons que Phoebe joue les mères porteuses pour son frère post-ado et sa belle-sœur ménopausée et que Ross voit sa femme partir élever son fils avec sa nouvelle compagne homosexuelle), il faut voir les passages incriminés pour bien se figurer ce qui, aujourd’hui, effarouche notre jeunesse si « subversive et libérée » ! (Le tout premier épisode en est un très bon exemple : un humour potache déjà bien poli par les 90’s)

Voilà comment on vit au pays de l’instant, voilà quel prix payer pour y vivre mille ans. Car le jugement péremptoire du jeune acéphale devant sa série télé, c’est l’orgueil de la certitude, la négation de sa propre erreur, l’oubli forcené de son talon d’Achille, du temps qui passe irrémédiablement. Aujourd’hui on a tout son temps, au point de regarder Friends ou twitter et d’en faire des confitures.

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