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L’écrivain Dominique Noguez nous a quittés la semaine dernière à l’âge de 76 ans. Notre ami Olivier Maillart, critique cinématographique et romancier, lui rend ici hommage.
C’est l’une des premières choses qui frappe, lorsque l’on se met à fréquenter le petit monde des lettres, ses auteurs, ses revues et ses cercles : la plupart des jeunes sont vraiment très cons. Projetés avec ardeur dans la lutte pour la reconnaissance, ils sont méfiants, retors, envieux, et c’est à qui marchera le plus méchamment sur le pied du voisin.
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Pris dans une espèce de concours de bite sans fin (le concours, pas la bite), ils ne voient dans les autres qu’autant d’obstacles ou d’outils à manier pour arriver plus loin. De ce point de vue, j’ai eu de la chance.
Lorsque mon ami Francesco Forlani commença à m’amener aux mardis de L’Atelier du roman (ça devait être en 2002 ou en 2003), il n’y avait pratiquement que des vieux – du moins, c’est ainsi que je les voyais. Et, parmi ces personnes qui avaient déjà fait leurs preuves, qui n’avaient plus à écraser personne, qui pouvaient en toute tranquillité se montrer accueillantes et sympathiques à l’égard des petits nouveaux, il y avait Dominique Noguez.
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— L'Incorrect (@MagLincorrect) March 2, 2019
Il était pour ainsi dire là à chaque fois. Pas besoin de se représenter : il se souvenait de vous, prenait des nouvelles. Toujours affable, fin et drôle. Merveilleusement cultivé, grand connaisseur de la littérature latine, ce qui m’impressionnait beaucoup.
Comme Michel Déon (largement son aîné, et d’un tout autre horizon intellectuel et politique, certes, mais ils appartenaient tous deux à la même famille à mes yeux, de ce point de vue), il ne refusait jamais son aide : il encourageait, lisait, écrivait et répondait toujours.
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Et puis il connaissait tous ces petits endroits cachés où l’on peut boire, à Saint-Germain-des-Prés, où l’on n’entre que si l’on est déjà connu du patron, bars sans pancarte ni indice sur la rue, avec porte secrète qui vous amène magiquement du trottoir pluvieux à une pièce confortable et chaleureuse, où l’on peut boire longtemps, et bien.
Je le revois encore s’asseoir. Une fois installé, il lançait avec un air d’autorité malicieuse : « Quand je bois, je bois ! » Et c’était vrai. C’était beau d’ailleurs, de voir Dominique ivre : comme il était très grand, on avait l’impression d’un navire qui tangue dans la tempête – sans jamais chavirer.
Une fois installé, il lançait avec un air d’autorité malicieuse : « Quand je bois, je bois ! » Et c’était vrai. C’était beau d’ailleurs, de voir Dominique ivre : comme il était très grand, on avait l’impression d’un navire qui tangue dans la tempête – sans jamais chavirer.
L’été dernier, j’ai encore retrouvé cette image de lui : debout, bien droit, avec un sourire en coin. Mon éditeur m’avait demandé, un peu au débotté, de trouver un préfacier pour un petit essai sur le cinéma. J’avais pensé à lui, parce que je connaissais ses écrits sur le cinéma expérimental, sa finesse critique, et l’accueil toujours amical qu’il m’avait réservé.
Il avait tout de suite accepté de lire le manuscrit. Il devait être malade pourtant. Il avait lu avec sérieux, puis refusé. Son message était fort beau, plein du tact et de la malice que je lui ai toujours connus.
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Il me disait notamment « qu’une préface n’est pas seulement un brin de persil ou de cerfeuil qu’on ajoute à un excellent pâté en croûte », et que même s’il reconnaissait des qualités au texte, il ne s’y retrouvait pas (trop de cinéma hollywoodien, pas assez d’avant-garde, sans compter tous mes emprunts à la langue anglaise : là je m’étais fait taper sur les doigts !).
Ça m’avait déçu, forcément, mais comment en vouloir à un homme qui compare sa propre prose à un « brin de persil », et qui refuse, même pour faire plaisir, de renier ce qu’il voit (à raison) comme l’un des engagements artistiques de toute sa vie ? Car Dominique a mené un certain nombre de batailles, et il les a menées en écrivain. Pour la langue française, pour le cinéma expérimental.
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— L'Incorrect (@MagLincorrect) March 7, 2019
Et sans doute pour beaucoup d’autres choses, car ses intérêts étaient multiples. Il y avait l’humour, et puis toute une pléiade d’écrivains un peu oubliés (je le revois demandant pour la énième fois à Lakis Proguidis : « À quand un dossier dans L’Atelier sur Mandiargues ? » Et Lakis de répondre, comme de juste : « Commence par écrire un article, on verra pour la suite… »).
Tant d’autres choses… Je me souviens d’un article lumineux sur le Œdipe Roi de Pasolini que Dominique avait écrit tout jeune homme, et dont je m’étais rendu compte (en étudiant le film d’un peu près) qu’il avait été pillé par un universitaire peu scrupuleux.
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De ses aphorismes, qui me faisaient mourir de rire (un notamment, que je cite régulièrement, je crois bien que je l’avais lu dans L’Imbécile de Frédéric Pajak : « L’âge venu, non seulement on est dérangé par le bruit, mais, en plus, on l’entend mal. »). Et puis, dans sa méthode pour Rater complètement sa vie en onze leçons, cette merveilleuse illustration figurant un « tour du monde raté » : une carte du monde, avec un trait partant de la France, et qui s’arrête au beau milieu de l’Atlantique…
Mais je crois bien que, de tous ceux que j’ai lus (et il m’en reste beaucoup à lire), le livre de Dominique que je préfère est Lénine dada. C’est une sorte de chef d’œuvre. Au début, ça ressemble à un canular d’étudiant brillant, de normalien blagueur : Lénine, exilé en Suisse pendant la Première Guerre mondiale, a vécu à Zurich, au moment où les premiers dadaïstes y officiaient, Tristan Tzara en tête.
À partir de cette rencontre fortuite et belle comme la rencontre d’une faucille et d’un marteau sur une scène de cabaret, de ce montage des attractions imposé par l’Histoire et la vie même, Noguez imagine un Lénine dadaïste, et retrace, documents authentiques à l’appui, toute l’histoire de la révolution bolchevique comme un vaste happening artistique, drolatique et sanglant.
On se dit que ce n’est qu’une farce, et puis on se rend compte que la farce était le seul moyen de vraiment comprendre l’énormité de ce qui a eu lieu. Comme si, par quelques invraisemblables sortilèges, Alfred Jarry s’était plu à réécrire une nouvelle du Tombeau pour Boris Davidovitch de Danilo Kiš… Avec Lénine dada, Dominique a réussi un grand livre sur Lénine et l’URSS. Et un grand livre sur le dadaïsme, dans un éclat de rire terrifié.
Tout cela pour dire qu’il y a bien des gens qui l’ont mieux connu que moi, et plus longtemps, mais que je suis heureux d’avoir croisé la route de Dominique Noguez. Que je me replonge dans les livres de lui que je possède, et que je m’en irai lire ceux que je ne connais pas encore.
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Comme il nous a même appris à rater notre mot de la fin, je suis à présent tenté de lui céder la parole pour clore cet article : « Veillez à terminer votre vie sur une phrase inaudible ou un gargouillis. Vous éviterez ainsi de figurer au nombre de ceux qui ont su sortir en beauté (…). »
Mais tes livres sont là, Dominique, qui nous prouvent que tu as su faire beaucoup mieux.
Olivier Maillart
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