J’ai eu l’occasion il y a quelques semaines de faire face sur une chaine de télévision à « l’icône de la pensée française moderne »: ci-devant sire Bernard-Henri Lévy. Ce titre nobiliaire que je lui prête lui va bien puisque notre combattant progressiste est parti « en croisade » contre le populisme et le nationalisme à travers une tournée européenne baptisée « Looking for Europe ».
Ah que c’est beau de dénoncer ces peuples veules et bêtes qui veulent rester ce qu’ils sont depuis des siècles, qui s’accrochent un peu désespérément à leur identité qui s’est construite sur la pensée gréco-romaine, le christianisme, le judaïsme et bien sûr l’esprit des lumières, qui rayonnant sur l’Europe a permis l’avènement de la démocratie. Ah que c’est légitime d’attaquer les nations coupables de tous les crimes et en particulier des guerres et génocides qui ont ravagé notre continent, alors que la nation française comme la nation britannique ont été, en 1914 comme en 1939-40, victimes d’agressions qui avaient des racines bien plus complexes que l’attachement au concept de nation.
« Non mais ce n’est pas aux nations que l’on s’en prend mais aux nationalistes », répondront doctement mes contradicteurs. La vérité est qu’il y a diverses formes de nationalismes et que les « progressistes » ont eu des approches très différenciées selon sa géographie et j’ose le dire selon son ethnie. Le nationalisme est ainsi odieux lorsqu’il est Blanc ; mais plus il change de couleur plus il devient noble. Panarabe, algérien, marocain, tunisien, africain, indonésien, indien, mélanésien, etc. tous ces nationalismes avaient pour but de se libérer de la domination occidentale mais surtout de réaffirmer une identité nationale où la composante ethnique et/ou religieuse était rarement absente. Arabo-musulmane au Maghreb, Bumiputra en Indonésie, noire et fière de l’être en Afrique sub-saharienne, canaque en Nouvelle-Calédonie, musulmane au Pakistan, à peu près partout le nationalisme local a associé une terre, son peuple et ses racines historiques. Nos intellectuels et hommes « de progrès » ont toujours manifesté respect voire fascination pour cette affirmation national- identitaire … mais ailleurs uniquement !
Je n’ai jamais considéré comme problématique ce lien émotionnel privilégié entre de nombreux Juifs français et cet Etat.
BHL n’échappe pas à la règle mais il ajoute une touche d’incohérence et de sélectivité qui mérite d’être traitée. Il se décrit volontiers comme un intellectuel juif et manifeste un attachement viscéral à l’Etat d’Israël. Loin de moi l’idée de lui en faire le reproche. Je n’ai jamais considéré comme problématique ce lien émotionnel privilégié entre de nombreux Juifs français et cet Etat. Je n’y ai jamais vu non plus une forme de duplicité comme le soupçonnent certains antisémites abjects.
Mais il faut avoir l’honnêteté de reconnaitre qu’Israël est l’aboutissement d’un rêve national et identitaire. Et il ne s’agit point là d’une interprétation personnelle mais d’une réalité gravée dans la très belle déclaration d’indépendance de l’Etat hébreux le 14 mai 1948 : « Eretz-Israël est le lieu où naquit le peuple juif. C’est là que se forma son caractère spirituel, religieux et national ». Il n’est pas non plus le résultat de la Shoah mais d’un projet bien plus ancien comme l’expliquent très bien ces lignes de la même déclaration : « En 1897, inspiré par la vision de l’État juif qu’avait eue Theodor Herzl, le premier congrès sioniste proclama le droit du peuple juif à la renaissance nationale dans son propre pays. Ce droit fut reconnu par la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 et réaffirmé par le mandat de la Société des Nations qui accordait une reconnaissance internationale formelle des liens du peuple juif avec la terre d’Israël, ainsi que de son droit d’y reconstituer son foyer national. »
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Cette affirmation solennelle du lien entre un peuple et sa terre est plus qu’émouvante pour toute personne attachée au patriotisme. Ce qui est gênant en revanche, c’est que ce même BHL qui embrasse de toute son âme cet attachement quand il concerne le peuple de Moise, vomit sur ce concept quand il s’applique au peuple français qui lui, par un décret qui n’a rien de divin, est sommé accepter docilement que d’être dissous petit à petit dans le globalisme, le multi-ethnisme, le multiculturalisme. Lisons ce qu’écrivait BHL en 2014 dans son livre « Hotel Europe » : « Il n’y a pas de Grecs de souche ; il n’y a pas de Français de souche ; l’idée même d’une souche venue du fond des âges et présente en chacun pour y faire germer l’inépuisable fruit de l’identité, est une idée vide, qui ne sert à rien ». L’imagine-t-on dire à Tel-Aviv ou au dîner annuel du CRIF : « il n’y a pas de Juifs de souche » ? Il serait immédiatement lynché, et à juste titre.
Sur les migrants BHL affirmait sur le plateau d’Europe 1 en juin 2018 que nous, Européens, avions « un devoir inconditionnel d’hospitalité » à l’égard de gens qui n’ont aucun lien avec cette terre. Soit. Mais a-t-il jamais exprimé en Israël, où il a fait de nombreuses visites et conférences, le devoir inconditionnel des Israéliens d’accepter le retour des exilés palestiniens de la guerre de 1948 ? Il ne s’agit pourtant pas de gens venus d’ailleurs mais d’un peuple qui vivait sur cette terre depuis des générations. Il n’en a jamais été question et pas par manque de place, puisque l’Etat hébreu a accueilli des millions de migrants juifs.
BHL voit le péril de l’extrême-droite en Europe, et prend régulièrement à parti le Rassemblement national et ses représentants, qu’il n’hésite pas à qualifier de racistes et d’antisémites. Mais quand il se rend à Nétanya, Jérusalem et Tel-Aviv, il est devient brusquement aphone sur l’ultra-droite israélienne dont le racisme anti-arabe n’est un mystère pour personne
Alors pourquoi ? Personne ne s’en cache en Israël et dans la Diaspora : car il n’est pas question de diluer l’identité juive du pays de la Bible avec un afflux arabe musulman ou chrétien. BHL voit le péril de l’extrême-droite en Europe, et prend régulièrement à parti le Rassemblement national et ses représentants, qu’il n’hésite pas à qualifier de racistes et d’antisémites. Mais quand il se rend à Nétanya, Jérusalem et Tel-Aviv, il est devient brusquement aphone sur l’ultra-droite israélienne dont le racisme anti-arabe n’est un mystère pour personne, ultra-droite qui, faut-il le rappeler, ne propose ni plus ni moins que le « déplacement » des arabes d’Israël pour que l’Etat juif soit intégralement juif… Ce courant n’est-il qu’une frange de la société ? Non, il est au gouvernement !
C’est d’ailleurs pour protéger l’identité juive de l’Etat hébreu que Benjamin Nétanhayou a fait promulguer en 2018 une Loi Fondamentale intitulée Israël, État-nation du peuple juif que Le Monde voit comme la promotion d’une « vision ethnicisante de la société ». Dans sa version initiale, le texte permettait à une communauté homogène, juive, de ne pas accepter en son sein une personne extérieure. L’article finalement modifié n’en donne cependant pas moins une valeur constitutionnelle à l’établissement de municipalités peuplées uniquement de Juifs. Sans que bien évidemment, BHL n’émette la moindre protestation ni la moindre critique. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à traiter, contre toute évidence, le Rassemblement national de raciste et à soutenir l’interdiction faite à nos députés de se rendre en Israël…
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Je conclurai en convoquant le général de Gaulle : « il faut un jour se résoudre à se mettre en adéquation avec ses arrières pensées. En clair, si l’on peut reconnaître à BHL et à d’autres de cultiver un lien charnel avec l’Etat hébreu, on est en droit de leur demander la réciprocité. A tout le moins de s’abstenir de dénoncer le prétendu « nationalisme » et la défense de l’identité européenne qui se développent en Europe. Le droit de tout patriote, et BHL en est (et même, à bien des égards, un nationaliste) est de protéger l’identité nationale de son pays. Et, en l’espèce, nous ajoutons à ce droit inaliénable et incontestable le droit de pointer la sélectivité des idéaux de nos adversaires. .
Par Jean MESSIHA