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Désormais votre vie appartient à l’Etat !

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Publié le

15 juillet 2019

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D’origine russe et hongroise Youri Fedotoff est né en 1959 à Paris. Diplômé d’un DESS de contentieux de droit de la faculté de Paris I, il a été avocat et reste chargé de cours au Master II d’administration territoriale de la faculté de droit de Paris Descartes. Il est également romancier et a publié « Le Testament du Tsar ». Pour L’Incorrect, il nous livre ici son point de vue sur l’Affaire Lambert.

 

Le diagnostic technique prévaut sur la raison humaine.

 

Tout a été dit ou presque sur le triste feuilleton de l’affaire Vincent Lambert, alimenté par la douleur d’une famille déchirée, perpétué avec vigueur par des tiers de tous bords et vulgairement traité par nos institutions. Le médecin et le juge abandonnés par le législateur et l’exécutif ont été entraînés malgré eux dans une sinistre mascarade. Derrière l’écho du bruit des débats animés sur l’euthanasie et les syllogismes absurdes des raisonnements juridiques, la science glaciale de la technologie ouvre désormais les portes à un nouveau paradigme.

C’est avant tout à nous-mêmes que nous devons cette défaite. A force de refuser de regarder la mort, nous l’avons délaissé.

Demain, hospitalisé, dans l’incapacité de formuler notre consentement, le médecin, à l’appui d’un diagnostic statistique, aura le droit de nous tuer contre la volonté de nos parents, de nos amis. Le tiers institutionnel à plus de droit sur notre vie que nos proches alliés. Au-delà des querelles familiales et théologiques, c’est cela, la jurisprudence Lambert. Elle a été consacrée par le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme…..

Il est commode de jeter l’anathème sur le médecin, le juge voir même le législateur et l’exécutif. C’est avant tout à nous-mêmes que nous devons cette défaite. A force de refuser de regarder la mort, nous l’avons délaissé. La nature ayant horreur du vide, il faut bien que quelqu’un s’en occupe : place au technicien.

 

Lire aussi : Acharnement euthanasique contre Vincent Lambert

 

Le médecin 

 

Voilà belle lurette que le médecin ne décide plus rien sans l’appui du laboratoire et des machines. De procès en procès, dans chacune des discussions, cela a été répété à l’encant. Toutes les plus grandes sommités des facultés de médecine et de droit l’ont martelé : La loi interdit au médecin de donner la mort. Mais alors de quoi parle-t-on ? – Surtout pas de la mort – Il s’agit de « fin de vie » par interruption de « traitement déraisonnable ». La « finitude de vie » comme nous l’a expliqué sur France Culture une spécialiste ayant manifestement le désir louable de nous rassurer.

En fait, privé du droit de nous injecter une dose létale, la « bravitude » du corps médical se résume à débrancher la perfusion et à nous laisser mourir de soif et de faim.

Il ne s’agit certainement pas d’interrompre les soins. En fait, privé du droit de nous injecter une dose létale, la « bravitude » du corps médical se résume à débrancher la perfusion et à nous laisser mourir de soif et de faim. Mais attention : dans un lit propre ! Et, si les « bips bips » d’alertes stridentes et incessantes des machineries, auxquelles sont désormais branchés tous les patients inconscients, laissent un peu de temps à l’infirmier, nous aurons peut-être même droit à quelques caresses compassionnelles… C’est cela la « finitude de vie » consacrée par le juge.

 

Lire aussi : L’Affaire Lambert

 

Le juge 

 

Le juge, avait l’obligation de juger. Malgré quelques expériences pathétiques et non concluantes soutenues par la chancellerie, il n’a pas encore délégué ce pouvoir à des ordinateurs. Le juge raisonne encore. Comme les hommes, la justice est imparfaite. Cela explique les décisions successives parfois contradictoires qui émaillent de longs litiges complexes. Pareil au diagnostic du médecin, bousculée par les laboratoires et les machines, la voix du juge se perd dans un labyrinthe législatif et réglementaire dont l’efficacité est mesurée à l’aune du bavardage, de la communication et de l’instantané. Par les effets d’une architecture processuelle complexe, l’affaire Lambert a subi des décisions de juridictions concurrentes et contradictoires.

Pareil au diagnostic du médecin, bousculée par les laboratoires et les machines, la voix du juge se perd dans un labyrinthe législatif et réglementaire dont l’efficacité est mesurée à l’aune du bavardage, de la communication et de l’instantané.

Le Conseil d’Etat a pris un luxe de précautions pour étayer la pertinence du diagnostic des médecins et fait précéder sa décision de consultation d’experts éminents. La Cour Européenne des droits de l’homme, plus prudente, s’est essentiellement retranchée derrière des irrecevabilités pour juger du bout des lèvres. Durant un parcours laborieux qualifié pertinemment de « danse macabre continue» par un professeur de droit, la Cour d’appel de Paris a poussé un cri d’Antigone : le droit à la vie est une liberté fondamentale qui doit prévaloir sur toutes autres considérations. La Cour de cassation lui a fermé la bouche et préféré le droit à la « finitude de vie ». Elle a suivi l’invitation de son avocat général au nom de la préservation de notre ordonnancement juridique. Ce bel ordonnancement juridique dans lequel désormais, le droit à la vie contrairement au droit de circuler et au droit de propriété n’est plus une liberté fondamentale. Il va falloir expliquer à nos étudiants en droit que lorsqu’il existe un doute sur le consentement d’une caution, le juge annule la caution, mais point quand il s’agit du consentement au droit à la vie…

 

Lire aussi : Tribune : Ce qui fait de nous des bêtes

 

Le technicien

 

Le technicien triomphe. Il usurpe les vertus cardinales. Il écarte philosophes et théologiens, méprise leur transcendance et abhorre le doute. Armé de certitude, ses machines animées par le plus pur rationalisme désinfectent la planète du virus de l’interrogation. Pour lui, l’homme est un matricule qui doit être uniquement mesuré à ses capacités de charge ou de produit. Une société réglée par le meilleur dénominateur commun livré par le calcul infaillible des statistiques.

Pour lui, l’homme est un matricule qui doit être uniquement mesuré à ses capacités de charge ou de produit.

La machine ne se trompe pas et, si d’aventure elle connait des dysfonctionnements, de toutes les manières, le bilan coût/avantage est résolument de son côté. La machine est désormais partout. Elle commande la décision du banquier et celles des fonctionnaires concernant nos droits civiques. Elle règle les flux de circulation et de communication de toute la planète. Elle va bientôt censurer la haine. Désormais, au-delà de notre consentement, elle a le droit de vie et de mort au nom de la science et de la justice !

Il y a un an, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort d’Ernst Jünger, Julien Hervier rappelait au cours d’un remarquable entretien accordé à Benjamin Fayet : «Pour Ernst Jünger, le monde est entré dans la dépendance total de la technique» (Philitt)

Je ne pensais pas que notre justice y contribuerait avec autant d’éclat.

 

Youri Fedotoff

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