La France est éternellement liée à ses éleveurs, ses bouchers et ses cuisiniers. Que nous aimions le bœuf mijoté, l’agneau à la broche, le porc confit ou le poulet rôti, nous sommes tous des héritiers d’une tradition aussi sensuelle que sensible. Ils sont nombreux à vouloir nous ôter le steak de la bouche en 2022, et c’est à qui dégainera en premier son étude sur les méfaits de la consommation de viande rouge, les ravages du cholestérol, ou encore les conséquences écologiques désastreuses des bouses de vaches.
Admettons qu’il ne soit pas faux de dire que l’élevage de poulets en batterie n’est pas meilleur pour notre santé que pour nos paysages de campagne. Admettons aussi qu’une mode grotesque autour des viandards virils, incarnée dans certaines chaines de restauration, puisse tout faire pour donner des envies de soupes de légume à certains esprits naturellement réfractaires aux effets de troupeaux. Soit.
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Mais faut-il pour autant crier haro sur la viande au nom d’une idée ancienne héritée du catharisme et des religions indiennes, voulant que l’animal soit l’égal de l’homme et que le consommer constituerait un crime ? Bouddha et les Parfaits avaient au moins pour eux de ne pas vouloir imposer leurs pratiques purificatrices à l’ensemble de l’humanité, contrairement à nos zélés végans qui, arrivés au pouvoir, auraient tôt fait de rendre illégaux les élevages et les abattoirs. Du pré à l’assiette, la viande forme un écosystème complet qui maintient des métiers et donne de quoi vivre à des milliers de personnes, en plus de nous régaler. Mais pour que cet ensemble reste cohérent et profitable à tous, il faut que nous le raisonnions.
Distributeur éthique et fondateur de Terroirs de Bouches à Oreilles, Paul-Henry Millet n’en dit pas moins : « La boucherie est un milieu complexe. Il y a, pour schématiser, deux types de bouchers : le bon boucher et le boucher. Pour les bovins, il y a celui qui travaille avec les éleveurs et celui qui ne travaille qu’avec les abattoirs. Et les abattoirs sont détenus par le groupe Bigard à plus de 90 %. Ils ont absolument tout racheté. Cette entreprise tient le monde du bovin entre ces mains, et par conséquent les cours des prix. À Rungis, il ne reste plus qu’un seul atelier de viande qui n’appartienne pas au groupe Bigard ».
Il n’est donc pas rentable pour un éleveur d’engraisser ses bêtes
Cette situation monopolistique a des conséquences pour les éleveurs, devenus dépendants de Bigard, Paul-Henry Millet ajoutant que « Bigard achète les bêtes au même prix en viande maigre qu’en viande grasse. Il n’est donc pas rentable pour un éleveur d’engraisser ses bêtes. Au lieu de perdre du temps et de l’argent, ces derniers vendent donc sur pieds de jeunes bovins et des vaches qui partent pour l’engraissement en Italie ou en Espagne. On ne sait d’ailleurs pas ce qui se passe là-bas, personne n’a jamais pu filmer. Derrière, elles reviennent en France pour être abattues et bénéficier d’un pour le moins trompeur label VBF (viande bovine française). C’est un sujet sensible, voire tabou, car en faisant péter ce système, on mettrait sur la paille beaucoup d’éleveurs qui ne savent pas faire un travail complet à tous les bouts de la chaîne, ou alors il leur faudrait quatre journées en une ».
Son regard sur la vente directe est d’ailleurs tempéré. Effectivement, c’est un domaine plus évident pour les volailles ou les lapins, mais beaucoup moins pour des bêtes demandant des compétences professionnelles de boucherie et une distribution optimale. Par ailleurs, ce système n’est pas donné à tout le monde, puisqu’il faut avoir du temps à consacrer à sa communication et aux ventes, mais aussi les compétences afférentes. C’est là qu’un intermédiaire peut entrer en jeu en déchargeant l’agriculteur des difficultés liées à la recherche d’un réseau de distribution : « Pour faire court, les clients ne veulent que des cotes de bœuf soit 40 kg maximum pour un bovin qui fait en moyenne 350 kg de viande. Le reste est difficile à vendre car plus personne ne veut du bourguignon, du jarret, du paleron, de la gite, etc.…. La solution la plus simple est de tout passer en steak haché (les burgers ont le vent en poupe) ou en saucisse l’été, mais les ateliers de hachage sont de moins en moins nombreux dû à une pression vétérinaire – justifiée – extrêmement importante ».
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Sauvegarder nos races à viandes et l’art de les préparer passera donc par une remise en question des géants du secteur et une meilleure collaboration entre les différents acteurs de taille intermédiaire. Quoi de plus ancestral et naturel que de griller une viande sur un feu ? C’est inscrit dans nos gènes, et aucun végan n’y pourra jamais rien.