Dans ce monde qui bouge trop vite, la « grande famille » du cinéma français résiste encore et toujours aux heures sombres. Depuis leur pupitre, ses membres ont dénoncé l’extrême droite, le fascisme, la pauvreté et les méchants milliardaires. On peut se moquer. Mais reconnaissons leur courage. Ils ont aussi récompensé un clandestin et un film sur un narcotrafiquant trans, fallait oser. Ce n’est pas facile d’assumer de telles positions anticonformistes dans un milieu aussi hostile.
Mais revenons au déroulé de la soirée. Pour une fois, nos starlettes se sont rappelé que même si c’était une célébration entre soi, il y avait quand même des gens derrière la télé, et que passée une certaine heure les revendications cégétistes en robe à 10 000 balles, ça passait mal. Du moins que « la raison d’ordinaire, n’habite pas longtemps chez les gens séquestrés » comme l’avait dit Lafontaine. Bref : les chouineries étaient limitées.
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Le César de la prise de parole plus gênante qu’un discours de Valérie Pécresse fut gagné haut la main par Jonathan Glazer, récompensé pour son film La Zone d’Intérêt : « Aujourd’hui, la Shoah et la sécurité juive sont utilisées pour justifier les massacres et les nettoyages ethniques à Gaza ». Comme quoi, être complètement débile n’empêche pas de réaliser un chef-d’œuvre. Beaucoup seront rassurés.
Cette édition 2025, sans saveur ni surprise, même si nos confrères tentent encore vainement de jouer les étonnés, a récompensé Emilia Pérez et L’Histoire de Souleymane. Le premier raconte la transition de genre d’un narcotrafiquant vu avec les outils d’une comédie musicale et qui va se découvrir une conscience ; le second l’exploitation d’un clandestin guinéen. Jackpot inclusif !
Dénoncer l’exploitation du migrant en exploitant soi-même un migrant, c’est beau comme la gauche.
Jacques Audiard est chanceux. S’il a un patronyme bien français, son cinéma zieute clairement du côté d’Hollywood. C’est malin. Surtout quand on émerge à une époque où notre septième art ne suscite plus que de la compassion. Alors quand on sait tenir une caméra, qu’on sait diriger des acteurs et qu’on a une histoire qui tient la route, on se démarque rapidement. Comme l’a rappelé brillamment Marc Obregon, son truc à lui, c’est le concept, surtout quand ça pétarade. Il adore ça. Malheureusement à l’exception de deux ou trois films, son œuvre ressemble de plus en plus à une coquille vide, certes bariolée, mais vide de chez vide. Avec Emila Perez c’est l’apothéose. La barbe à papa du concept. Y en de partout. Ça stabilote en fluo, mais sur une page blanche.
L’Histoire de Souleymane, lui ne s’embarrasse pas d’effets de manche. Il veut faire dans le naturalisme, le vrai de vrai avec caméra à l’épaule et tout le tralala. Le rêve et les illusions perdues d’un type qui traverse le Sahara et la Méditerranée, on s’en fout. Enfin, le réalisateur. Lui, il veut faire pleurer la bourgeoise. On appelle ça un tract sur pellicule. En plus, il n’a pas choisi un comédien pour jouer Souleymane mais un vrai clandestin. Dénoncer l’exploitation du migrant en exploitant soi-même un migrant, c’est beau comme la gauche.
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Il est minuit, ressenti cinq heures du matin, et les quatre grands succès publics de l’année (c’est-à-dire ceux qui font becter les autres) repartent la queue entre les jambes.
Le Comte de Monte Cristo se contentera des costumes et des décors. Rien d’étonnant, le patrimonial, même classe et réussi, le milieu n’aime pas. L’Amour ouf évite l’humiliation grâce à Chabat qui glane le meilleur seconde rôle. Le grand cinéma populaire, ambitieux et poétique, n’est pas raccord avec les revendications de la « grande famille ». En Fanfare, lui, repart carrément à poil. Tu m’étonnes. Il a osé traiter le social loin du réalisme vu de la Fémis. On appelle ça de la haute trahison. Enfin, le gros succès de l’année Un ptit truc en plus ne se faisait guère d’espoir avec une seule nomination. Dans un monde qui cause d’inclusion toute la journée, ignorer le seul film qui parle du handicap avec finesse, et non comme un prétexte mais comme sujet principal, c’est un peu baroque. Ou pas.