On pouvait alors saisir sur le gril des nations entières afin d’ordonner un délire dont le ressentiment dépassait les individus qui y succombèrent, lesquels, bientôt, la passion de haïr une fois retombée, ne comprendraient plus comment ils avaient pu en arriver là, ni quelle haine, comme un sortilège, les avait transformés en ces bourreaux ordinaires, ouvriers d’un mal devenu banal, pour paraphraser Hannah Arendt. C’est probablement en réponse à cette domination du nombre indifférencié que s’est construite la société contemporaine, soucieuse de se prémunir des dérives totalitaires qui ensanglantèrent le XXe siècle à son presque exact mitan. Et c’est l’individu qu’elle a pris pour être son allié et son modèle, celui-ci jouant d’apparence l’antagoniste idéal de cette foule métamorphosée en masse dont on connaissait désormais l’infâme puissance de destruction.
Mais les forces d’entropie qui ravagent notre monde moderne ne semblent pas avoir cessé d’exercer leur dynamique délétère, et c’est cette chute de l’individu dans le chaos du ressentiment, cette fois-ci en son nom propre, qu’Éric Sadin raconte dans un ouvrage aussi subtil que renseigné et qui prend la forme d’une généalogie tragique dont chaque détail disposé bout à bout dessine le motif effrayant d’un effondrement inéluctable. [...]
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