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Éditorial monde de décembre : Europe, le continent englouti

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Publié le

7 décembre 2021

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Le numéro 48 est disponible depuis ce matin en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial monde, par Laurent Gayard.
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« Il serait simple que les politiques nous expliquent en quoi l’immigration serait aujourd’hui une gêne ou un péril pour la France. Avec près de mille ans d’histoire derrière nous, notre culture, notre langue, de quoi avons-nous peur ? » Ainsi s’exprimait l’écrivain Pierre Guyotat dans Télérama en 2010. La posture pleine d’assurance de Guyotat, décédé en 2020, figure de 1968 et ancien comparse de Philippe Sollers, est typique d’une génération pleine de certitudes. Une génération qui s’efface peu à peu en même temps que ses certitudes achèvent de s’écrouler. L’histoire des dix dernières années s’est chargée de répondre à Guyotat. En 2009, le dictateur Mouammar Kadhafi faisait chanter l’Union européenne en conditionnant son aide pour juguler les flux migratoires en Méditerranée à une aide financière pour renforcer ses frontières avec le Tchad et le Niger. À l’époque, l’UE proposait 20 millions. Kadhafi réclamait 5 milliards. Deux plus tard, Kadhafi était exécuté par les rebelles qui l’avaient renversé et capturé alors qu’il tentait de fuir un bombardement de l’OTAN. L’ex-dictateur avait peut-être vu trop grand. Les Européens, Français en tête, l’ont lâché sans sourciller.

L’Europe brandit le chéquier comme une baguette magique et s’imagine pouvoir abolir le réel à coups de zéros et de déclarations généreuses

Les Printemps arabes qui ont emporté Kadhafi n’ont pas fait se lever de grande vague démocratique au Moyen-Orient mais ils ont suscité en revanche une vague migratoire qui vient frapper les rivages de l’Europe, gonflée par le chaos de l’Irak et de la Syrie, ou par les conflits sans fin qui ravagent l’Afghanistan depuis quarante ans. La crise migratoire de la seconde moitié des années 2010 illustre l’absence cruelle de coordination et de solidarité des pays européens. Le symbole éclatant de cette incapacité reste le chèque de six milliards offert, au nom de l’UE, par Angela Merkel à Recip Tayyep Erdogan le 18 mars 2016. La chancelière allemande, icône de l’euro-progressisme qui avait décidé unilatéralement d’ouvrir ses frontières aux migrants en septembre 2015, puis rétro-pédalé face à une situation ingérable, est allée à Ankara consentir de façon tout aussi unilatérale à l’un des pires renoncements diplomatiques de sa carrière. En un seul voyage à Ankara, la mutti du multikulti a réussi à fouler aux pieds le droit d’asile, à jeter aux orties la souveraineté européenne et à offrir au dictateur turc six milliards d’euros et un moyen de pression dont il n’osait pas rêver. Erdogan a eu plus de chance que Kadhafi.

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La crise qui a opposé en novembre la Pologne – et l’UE – à la Biélorussie – et la Russie – montre à quel point les flux migratoires sont devenus une arme géopolitique. Alexandre Loukachenko fait usage de cette arme pour faire pression sur l’Europe et attiser ses divisions internes, avec l’aide de la Russie ; rappelons en effet qu’une partie des milliers de migrants massés le long de la frontière polonaise ont été acheminés là par les compagnies Belavia et Aeroflot. Mais cette arme géopolitique est d’autant plus efficace qu’elle est employée contre un continent en plein déclin démographique, divisé par la question migratoire et dominé par une instance supranationale dont le dogmatisme bureaucratique accentue encore plus les divisions internes. Le 16 octobre, Angela Merkel rendait une dernière visite à Recep Tayyip Erdogan qui va sans doute regretter cette grande alliée. Pendant ce temps, les Polonais continuent tant bien que mal de défendre leur frontière face aux incursions encouragées par les autorités biélorusses. La fracture européenne est là, évidente, presque caricaturale : d’un côté une Angela Merkel rayonnante auprès du maître d’Ankara, de l’autre, les affrontements violents et un policier polonais évacué sur une civière. D’un côté, une Europe qui brandit le chéquier comme une baguette magique et s’imagine pouvoir abolir le réel à coups de zéros et de déclarations généreuses. De l’autre, l’Europe des « petites nations », si proches des anciens empires et qui observent avec inquiétude les anciens maîtres turcs ou russes à la manœuvre et ressentent de façon bien plus concrète la menace géopolitique et existentielle. En 1983, déjà, dans un article intitulé « L’occident kidnappé », publié dans Le Débat, Milan Kundera, évoquait l’opposition entre l’assurance aveugle des grands États et « les petites nations qui ne connaissent pas la sensation heureuse d’être là depuis toujours et à jamais ; elles sont toutes passées, à tel ou tel moment de leur histoire, par l’antichambre de la mort ; toujours confrontées à l’arrogante ignorance des grands, elles voient leur existence perpétuellement menacée ou mise en question ; car leur existence est question ». Tandis qu’Angela Merkel s’affichait une dernière fois tout sourire avec le Sultan, l’une des « petites nations » d’Europe orientale pouvait à nouveau se sentir bien seule sur la ligne de front de l’Europe de l’impuissance.

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