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Éloge du temps long.

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Publié le

19 avril 2019

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L’incendie dramatique qui a en partie ravagé la Cathédrale Notre-Dame de Paris et dont on ignore encore les causes (accidentelles, liées à quelque négligence, criminelles ? bien malin ou manipulateur qui peut à ce jour prétendre avec certitude connaître la réponse ou en écarter certaines), a produit un effet de souffle peu commun dans notre histoire récente.

 

Certains, suffoqués, ont comparé ce qu’ils ont ressenti à la sidération devant l’attentat du World Trade Center. Quelles que soient les éventuelles différences de situation en l’espèce, ils n’ont pas tort : nous étions tous, à travers le monde entier, en état de stupéfaction face à une sorte d’impensé de la destruction des piliers de nos humanités, de nos rêves, de nos ambitions démesurées, de nos intemporalités, de nos prières, lancées vers le Ciel comme autant de grâces rendues, certes, mais aussi de défis nous permettant, en quelque sorte, de nous survivre à nous-mêmes à travers le temps, de nous construire nous-mêmes en tant qu’humanité, citius altius.

 

Lire aussi : L’éditorial de Jacques de Guillebon : Sous la cendre

 

Notre commune humanité de bâtisseurs nous dépasse, elle transcende chacune de nos vies individuelles, et c’est donc cette part de sacré recelée et révélée au sein même de l’humanité qu’une construction pluriséculaire comme Notre-Dame vient souligner, symboliser, matérialiser. C’est pourquoi, la voir partir en fumée fait mal à l’humanité tout entière, au-delà du drame que cela représente pour les catholiques qui, toutefois, en ont vu d’autres.

A l’exception des habituels incultes et imbéciles nocifs de service tels que certains membres de l’UNEF et autres officines groupusculaires du même acabit qui ne finiront bientôt plus par représenter qu’eux mêmes au fond de quelque catacombe engloutie pour esprits malades, à l’exception également de ceux qui, en France, ont pris le parti de n’en faire pas partie, de ne pas s’y reconnaître, de la dénigrer ou moquer aussi souvent que possible au point qu’on se demande tout de même bien ce qui les retient d’aller voir ailleurs, -ce dont vraiment personne ne les empêchera-, à l’exception de ces individus donc, tout le monde a été blessé en son cœur et dans sa chair par l’incendie qui s’est déchaîné.

 

 

Par son aspect très dramatique, cinématographique, romanesque, bien sûr, renvoyant lui-même à l’imaginaire littéraire et cinématographique qui, déjà, s’était emparé du lieu pour en faire un être non seulement de bois, de pierre, d’encens et de prières mais aussi de mots et d’esprit.

Par-delà les lyrismes auxquels naturellement chacun est conduit et dont nous avons besoin pour surmonter l’épreuve, par-delà l’émoi collectif qui nous a fait nous sentir plus proches les uns des autres ce soir-là, avec l’envie de nous serrer les uns contre les autres comme des oiseaux orphelins posés sur un fil ténu, de nombreuses questions se posent et les réactions gouvernementales mettent en lueur une sorte de béance culturelle que cet incendie vient en quelque sorte révéler.

Dans l’empressement et l’hyperactivité qui le caractérise, le président de la République a annoncé que la cathédrale serait rebâtie « plus belle encore » (pourquoi ?) et d’ici cinq ans.

Si l’on peut comprendre qu’un exécutif se sente dans l’obligation d’être à la hauteur d’un événement inouï et auquel on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir été préparé, l’on est saisi par un profond choc de cultures que viennent souligner ces déclarations intempestives (au sens propre, nietzschéen dirions-nous…) de la Macronie : pourquoi cinq ans ? Selon quels critères ? Quelle expertise ? Avec l’avis de quels spécialistes ? Au nom de quelles compétences ? Surtout : pourquoi vouloir à tout prix aller vite ?

 

À ce temps politique contemporain hyperactif et décervelé, revendiqué progressiste de manière autotélique et tautologique, s’oppose le temps long des cathédrales. Le temps d’une église plurimillénaire.

 

Et c’est ici que l’on comprend le choc de deux mondes auquel l’on ne cesse d’assister et dont la crise politique que traverse le pays depuis des semaines n’est elle-même qu’une manifestation. Un monde du temps politique contemporain, délibérément disruptif, volontiers brutalisant, avec des mandats limités (en l’occurrence, la notion de cinq ans renvoie forcément à l’idée consciente ou non d’un quinquennat). Ce temps est celui de l’action courte, rapide, le temps court de la courte vue et surtout des bénéfices (matériels ou symboliques) immédiats. Celui-là même qui par exemple conduit à brader les sites stratégiques du pays au plus offrant dans le but d’un prompt bénéfice sans projection au-delà du calcul des intérêts du moment. Le temps court n’est pas le temps de l’intérêt général ni du bien commun.

A ce temps politique contemporain hyperactif et décervelé, revendiqué progressiste de manière autotélique et tautologique, s’oppose le temps long des cathédrales. Le temps d’une église plurimillénaire. Le temps d’une Histoire et d’une mémoire nationale ancrée dans la profondeur des générations. Le temps d’une humanité qui ne se pensait pas dans le dépassement constant de ses propres impératifs et contraintes, mais qui intégrait ces contraintes à l’intérieur même du déroulé, long, patient, de ses ambitions pourtant immenses. Un Prométhée encadré, un Prométhée domestiqué.

 

 

Le Prométhée contemporain est fou de lui-même, ivre de sa puissance, de son ego, de sa volonté, de son narcissisme, de son feu volé et de ses forges, de son absence de transcendance, il veut, il fait, il se croit grand, mais il n’est rien au regard du temps long qui le juge.

Emmanuel Macron s’est longtemps promu « maître des horloges ». Dominer le temps, l’agenda. Culte de la performance. En l’occurrence, construire une cathédrale devient identique à un vulgaire chantier de Jeux Olympiques.

Cette précipitation dans les déclarations et ce volontarisme affiché, non pas dans le louable souhait de rebâtir le cœur de la France, mais de le faire selon des décisions hâtives et intempestives et en totale méconnaissance des questions posées par ceux qui ont la charge de la conservation (le mot n’est pas anodin) du Patrimoine et qui, eux, depuis des années, alertent sur les conditions déplorables dans lesquelles se trouve précisément le patrimoine historique français, viennent souligner un peu davantage encore tout ce qui sépare cette conception politique qu’est le macronisme d’une compréhension réelle des mécanismes profonds à l’œuvre dans ce pays. C’est dans le fond exactement la même logique qui a permis au même personnage politique de déclarer, en campagne électorale « Il n’y a pas de culture française ».

 

 

L’enthousiasme, le volontarisme sont louables. L’afflux d’argent, moqué stupidement par de nombreux acteurs de la gauche avec lesquels nous sommes en désaccord sur ce point, est le bienvenu : rien de grand ne s’est fait, dans l’histoire de l’Art, sans la générosité indispensable des mécènes. Mais ce soudain délire hyperactif, ce concours international (et pourquoi international ?) d’architecture lancé tout à trac sans concertation par le Premier ministre, ces mesures à la va vite décrétées alors qu’on ne sait même plus depuis des années à quoi sert encore un Ministère de la Culture rendu transparent dans lequel le spectre inamovible de Jack Lang ne cesse d’errer de manière fantomatique comme pour en souligner la constante absurdité… : tout ceci ne va pas dans le sens d’une compréhension profonde de ce que cet événement devrait pourtant promouvoir et qui est la plongée, enfin, dans le temps long.

 

Lire aussi : Notre dame de Paris, capitale de la douleur

 

Le temps long de l’histoire. Le temps long des entreprises dont peut-être on ne verra pas l’aboutissement mais que l’on transmettra à nos descendants. Le temps long de la réflexion. Le temps long de la spiritualité, aussi. Le temps long qui nous lie au passé et plonge vers l’avenir, incertain mais tenace.

En somme, ce dramatique incendie et son traitement par l’exécutif macronien démontre le contresens majeur opéré par la pensée adulescente du pseudo-progressisme dont il se fait le porteur : une pensée courte, de la performance, de l’auto-promotion de soi jusqu’à l’ubris, alors que tout, dans cet événement, devrait relever de la conservation intelligente, c’est-à-dire, humble face à l’Histoire et ambitieuse face à l’avenir.

 

Anne-Sophie Chazaud

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