Il peut nous paraître difficile de comprendre la raison, à un an de l’élection présidentielle, qui a poussé Emmanuel Macron à se lancer sur YouTube dans une palinodie tenant du festival de la mauvaise blague, plutôt que de tenir son rang de chef d’État. Il nous promettait un quinquennat digne de l’Olympe. Le voici encadré de McFly et Carlito, youtubeurs professionnels, s’adonnant à un exercice de communication en apparence totalement ridicule, voire contreproductif. Qui peut avoir envie d’un président succombant à de telles pantalonnades sur les réseaux sociaux ? A priori, certainement pas les électeurs sérieux, et encore moins les plus âgés, ni les quadras surdiplômés. Or ce sont ces catégories qui forment jusqu’à maintenant un socle de soutien essentiel au candidat Macron. Cet interlude digital ressemble donc, en apparence, à une erreur. Mais les choses s’avèrent en réalité beaucoup plus complexe à analyser.
Rappelons-nous du scandale « Cambridge Analytica ». Une société de conseil en communication politique met au point des méthodes de campagnes extrêmement agressives, en recyclant les outils les plus efficaces du marketing comportemental. Sociologues, psychologues, publicitaires, spécialistes du langage et activistes se regroupent pour développer une propagande terriblement efficace, utilisant de manière croisée toutes les ressources de l’intelligence artificielle, du profilage mental, du big data, du web et des réseaux sociaux, dont particulièrement Facebook. En quelques années, ils œuvrent à la victoire de Trump, appuient de leurs techniques Bolsonaro, aident les partisans du Brexit, avec à chaque fois des résultats stupéfiants. À grands coups de faux jeux en ligne, de pillages de données personnelles, de tweets ciblés, de diffusions de fake news, ils participent au renversement, à la stupeur générale, du cours d’élections apparemment perdues d’avance. Leur force première : avoir su utiliser des canaux de communications non politiques et la diffusion de messages non politiques pour mobiliser cette partie de l’opinion publique qui, écœurée des politiciens, ne votait plus.
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À chacun sa colère, à chacun son tweet et qu’importe si le tout est incohérent. La communication est ciblée, parcellisée, fragmentée. Elle fonctionne en silos, chacun pris isolément dans son monde clôturé, sans regard pour celui d’à côté. Surtout, le contenu diffusé ne doit pas relever du langage ni des codes du politique. Il faut émouvoir, faire rire, pleurer, apparaître sympathique, créer de l’empathie, occuper le terrain et l’esprit. Le bulletin de vote viendra tout seul. Dans cette logique, il est tout aussi important d’attirer le sympathisant que de dégoûter l’opposant, de le transformer en un antisystème radical pour qu’il s’abstienne plutôt que de voter pour d’autres.
La société Cambridge Analytica est aujourd’hui dissoute, ses dirigeants ostracisés, certains mêmes poursuivis devant les tribunaux. Mais la révolution des instruments de marketing électoral qu’elle a lancée a marqué en profondeur la communication politique. Ses méthodes, adoucies, acidulées, aseptisées, sont désormais enracinées partout. En 2017, le candidat Macron mena une campagne tonitruante en utilisant, à la mode centriste, ces techniques ultra sophistiquées venues d’outre-Atlantique. [...]
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