Il y a quelques mois, le Haut-Commissariat à la réforme des retraites a fugitivement donné l’impression qu’il avait une petite idée de la façon dont fonctionnent les retraites par répartition. En effet, le Haut-commissaire avait déclaré à une journaliste que les cotisations vieillesse, immédiatement versées aux retraités, ne préparent nullement la retraite de ceux qui les versent.
C’était un pas vers la découverte de la vérité, à savoir que la préparation de la retraite consiste à mettre au monde des enfants et à les éduquer de telle façon qu’ils trouvent leur place sur le marché du travail, condition requise pour qu’ils payent, quelques décennies plus tard, des cotisations vieillesse au profit de leurs aînés.
Las ! Une information récente montrerait plutôt que Jean-Paul Delevoye en est resté à l’idée poétique selon laquelle les bébés sont apportés par des cigognes puis entretenus et éduqués par des lutins. Il faut en effet avoir en tête une fantasmagorie de ce genre pour parler comme d’un « avantage », d’une manifestation de la générosité de l’Etat ou des régimes de retraite, et non d’un dû, à propos des maigres droits à pension qui sont accordés aux parents ès-qualité.
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Concrètement, le Haut-Commissaire a posé la question suivante aux partenaires sociaux : « Doit-on maintenir un avantage pour les parents de trois enfants et plus ? » Il semblerait qu’il ait eu en tête l’idée de donner moins aux parents de famille nombreuse pour donner un peu aux parents de deux enfants. En tout cas, il reste enfermé dans le conte de fées selon lequel on prépare les retraites futures en payant celle des personnes âgées actuelles, et que si l’on accorde quelques droits à pension aux personnes qui ont élevé des enfants, c’est par charité républicaine (dite solidarité).
Chaque enfant élevé doit rapporter des points
En somme, il s’agirait de déshabiller Pierre pour habiller Paul. L’antique système des majorations de pension, terriblement injuste puisque l’enfant de riche « rapporte » alors davantage que l’enfant de pauvre, serait maintenu. Il s’agirait, toujours et encore, d’un « avantage », et non d’une juste reconnaissance du fait qu’élever des enfants prépare les futures retraites.
Au lieu de rendre aux parents ce qui leur revient en bonne justice, à savoir des droits à pension en remplacement de leur prise en charge directe, dans leur vieillesse, par leurs propres enfants[1], l’Etat veut se faire passer pour une sorte de mécène qui distribue des « avantages » aux personnes « méritantes ». Foin de la réalité économique : la République redistribue selon des critères inspirés par l’air du temps un argent qui ne lui appartient pas, mais qu’elle entend répartir à sa guise ! Et qu’elle utilise sans souci de justice, mais en référence avec une notion dénaturée de la solidarité – belle idée que nos politiciens ont hélas transformée en une sorte de catin dont on peut louer les services pour s’attirer, en redistribuant de l’argent à tort et à travers, les bonnes grâces des syndicats et autres quémandeurs disposant d’un pouvoir de nuisance.
« Nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants. »
Que feraient des dirigeants ayant compris le fonctionnement des retraites par répartition, expliqué jadis par Alfred Sauvy, et aujourd’hui par votre serviteur et quelques autres ? Au moment de passer à la retraite par points, ils choisiraient le nombre de points devant être attribués à chaque parent pour chaque enfant dont il a assumé l’entretien et l’éducation durant une année. Bien entendu, les pères et mères de trois enfants recevraient, à ce titre, davantage de points que ceux de deux enfants, eux-mêmes deux fois mieux pourvus que les parents d’un enfant unique. Il ne serait plus question d’avantages, il s’agirait simplement de la reconnaissance par le législateur d’une réalité indubitable, que Sauvy exprimait ainsi : « Nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants. »
Attribuer des points pour chaque enfant élevé pendant un an constituerait une formule autrement plus juste que la majoration de pension actuelle, dont la proportionnalité privilégie les parents aisés. Il est à peine croyable qu’aucun Président ou Gouvernement ou Parlement ne se soit jamais attaqué à cette injustice criante, qui n’a d’ailleurs l’air d’émouvoir ni les syndicalistes, ni les élus, à quelques exceptions près.
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Mais, dira-t-on, ceux qui n’ont pas d’enfant, ou qui n’en ont qu’un, ne vont-ils pas être un peu courts en matière de droits à pension ? Pas du tout, si l’on applique jusqu’au bout la logique d’Alfred Sauvy. En effet, les enfants n’ont pas besoin seulement de leurs parents, ils ont aussi besoin d’écoles, de collèges, de lycées, d’enseignement supérieur, et cela coûte en France environ 130 milliards par an. Or, bêtement, nos lois ne prévoient pas de récompenser ceux qui financent cet investissement dans la formation initiale, alors qu’il fait partie intégrante de la préparation de nos retraites.
Il ne serait pourtant pas difficile de remplacer divers impôts et cotisations par une cotisation productrice de points de retraite, destinée à financer la formation initiale. La formule française de l’impôt sur le revenu, à savoir le quotient familial, est justement bien adaptée à cet usage : à revenu égal, elle prélève moins sur les personnes ou les couples qui ont des enfants à charge. Ceux qui ne sont pas dans ce cas acquéraient donc plus de points de retraite grâce à cette cotisation.
N’entrons pas davantage dans les détails, le lecteur intéressé les trouvera dans notre ouvrage La retraite en liberté (Le Cherche-midi, 2017), et voyons l’autre problème actuellement examiné par le Haut-commissariat, à savoir la réversion.
Passons donc de la réversion à la mise en commun des points acquis par les époux !
La réversion est une formule qui date de l’époque où les couples étaient le plus souvent stables, unis « pour le meilleur et pour le pire » du mariage à la mort d’un des époux. Dans ces couples, la femme avait une activité professionnelle le plus souvent moins longue et moins bien rémunérée que celle de son conjoint, voire pas du tout d’activité professionnelle. Dans ces conditions, la réversion corrigeait plus ou moins l’absence de droits à pension attribués pour la mise au monde et l’éducation des enfants : c’était mieux que rien.
Aujourd’hui, les couples sont moins stables et les femmes travaillent professionnellement davantage : la réversion est une formule qui a fait son temps. De plus, elle donne parfois lieu à des rentes de situation injustifiables : certains régimes permettent au conjoint survivant, marié peu avant son veuvage, de remporter le gros lot. Son remplacement s’impose, et différents pays ont déjà fait le nécessaire, en recourant au partage des droits à pension entre les conjoints.
Dès lors que les points de retraite seraient (enfin !) considérés comme des actifs financiers, il serait tout naturel qu’ils entrent dans la communauté des acquêts, au même titre que les placements financiers et les investissements immobiliers.
Les deux membres d’un couple marié devraient pouvoir mettre en commun les droits à pension acquis par chacun d’eux, que ce soit en raison de l’éducation de leurs enfants ou des cotisations versées pour la jeunesse. Il s’agirait en quelque sorte d’une extension du régime matrimonial dit « communauté réduite aux acquêts ». Dès lors que les points de retraite seraient (enfin !) considérés comme des actifs financiers, il serait tout naturel qu’ils entrent dans la communauté des acquêts, au même titre que les placements financiers et les investissements immobiliers. Les couples seulement unis par un pacs pourraient éventuellement bénéficier d’une formule analogue.
Cette financiarisation de la retraite par répartition résoudrait toutes sortes de problèmes ; citons-en quelques-uns. D’abord un problème de justice : impossible, quand on partage seulement les points mis en commun durant l’union, de réaliser une captation de droits à pension après seulement quelques années de vie commune. Ensuite un problème d’équité : en cas de divorce, les points mis en commun seraient automatiquement partagés par moitié ; plus question d’avoir à choisir entre se remarier ou perdre ses droits à réversion, comme cela existe dans certains régimes. Enfin, un problème de dignité : il serait clair que le veuf ou la veuve ne bénéficierait pas d’une faveur accordée par l’Etat providence, mais d’une pension dûment méritée dans le cadre d’un partage des tâches au sein de la cellule conjugale. Si dans tel cas la pension résultant du partage des points de retraite est trop faible pour assurer une vie décente, bien entendu son titulaire aura droit au minimum vieillesse, mais le problème de l’assistance ne viendra plus polluer les questions conjugales.
[1] Si l’on supprimait l’obligation faite aux enfants de famille nombreuse de cotiser au profit des personnes qui n’ont eu que peu ou pas du tout d’enfants, les parents de trois enfants ou plus auraient des vieillesses dorées, et les personnes n’ayant pas eu d’enfant en seraient réduites à faire la manche.