Il y a les Déménageurs bretons et il y a Christo, le déménageur bulgare, qui emballe soigneusement, ficelle solidement, mais laisse tout sur place. L’« artiste », appelons-le ainsi, s’est fait une spécialité de l’empaquetage de monuments, de bâtiments ou d’ouvrages d’art. Il était venu empaqueter le Pont-Neuf en 1985, et récidive, même post-mortem (il a disparu en 2020), avec l’Arc de Triomphe. Ni belle, ni laide, la chose ne laisse pas indifférents les Parisiens. Chacun selon son humeur, selon le ton de la conversation à laquelle il participe, choisit sa petite comédie, exagère son propos jusqu’ à l’emportement, le modère, ironise ou feint l’émerveillement. Quelque peu ennuyé de se joindre à la cohorte des thuriféraires de l’art contemporain ou de ses détracteurs, Jérôme Serri, auteur et commissaire d’exposition, nous dévoile cependant les raisons pour lesquelles il est temps de remballer Christo.
Oui. Ses emballages n’appellent que le micro-trottoir
« C’est magnifique, vraiment, je reviendrai avec mon mari et mes enfants. – C’est une honte, Madame, une honte ! – Parlez pour vous, moi je ne pensais pas être aussi émue en venant ici. Christo nous fait voir l’Arc de Triomphe comme on ne l’a jamais vu, et cependant cela fait cinquante ans que je suis parisienne. – Il aurait dû empaqueter La Victoire de Samothrace ou le Balzac de Rodin, peut-être que vous les auriez mieux vus. – Ce sont tout de même des matériaux recyclables, si l’art relance le débat et aide à sauver la planète, c’est gagné, merci Christo. – Matière recyclable ou pas, voyez-vous, moi j’attends pour me prononcer que flotte entre les jambes de l’Arc de Triomphe le grand drapeau bleu, blanc, rouge. – Vous, vous voulez que ce soit de l’art à tout prix, mais c’est se foutre du monde, cher Monsieur ! – On a déjà dit ça des impressionnistes. – Je vous écoute depuis tout à l’heure, j’ai une question, une seule, à vous poser à tous : c’est quoi le beau ? – C’est vrai, c’est quoi l’art ? Christo disait qu’il voulait que le vent fasse frissonner sa toile, vous ne trouvez pas que c’est plutôt le mystère qui la fait frissonner ? » Écrivant une préface pour les sculptures d’Alberto Giacometti, Francis Ponge parlait de son texte comme d’une salade à mettre autour des brochettes de son ami. C’était vouloir approcher, avec une pointe d’humour, la singularité de l’œuvre du sculpteur, faire comme Jean-Paul Sartre qui, de son côté, avait dit du sculpteur qu’il dégraissait l’espace. Avec Christo, rien de tel n’est possible. Et que dire du plug anal de McCarthy, du doigt d’honneur de Maurizio Cattelan, des monceaux de vêtements de Boltanski ? On peut bien entendu établir des classements thématiques, mais ce sont seulement des dénonciations que l’on classe, pas des œuvres – pour cause, il n’y en a point – des dénonciations ou des cotes. Il existe des sociologues que ce genre d’information intéresse. […]
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