Gene Hackman, c’est d’abord un visage qui au fond est presque un non-visage, un cercle à la Tintin, un « ovale de négation » et sur lequel on peut donc projeter à peu près tout. Dès ses premiers grands secondes rôles, il y a dans cette face rondouillette une sorte de stupeur ombrageuse, une densité minérale que les réalisateurs ne se lassent pas d’interroger. Bien sûr, c’est avec French Connection que l’acteur californien – venu tardivement au cinéma, à ses 30 ans, après avoir servi en Chine dans l’armée et accumulé pas mal de petits boulots – se met à imprimer durablement la rétine et intègre presque immédiatement le panthéon de ces « silhouettes » immédiatement reconnaissables, presque une marque à part entière : un chapeau court, un costume pas très bien ajusté, une démarche encombrée qui ménage quelques rares moments de souplesse féline… William Friedkin a d’emblée su capté toute la versatilité de ce corps et de ce visage empesé, presque monolithique, mais capable de venir à bout du mal par sa ténacité.
A la croisée des rêves américains
La suite sera à l’avenant, Gene Hackman trouvera un autre rôle décisif dans un des plus grands films politiques de tous les temps, Conversation secrète, épitomé du film paranoïaque totalement en phase avec l’essor de « l’Amérique des hommes en noir » : là encore son physique indécidable sert le propos du cinéaste Francis Ford Coppola. Il enchaînera avec L’Epouvantail de Jerry Schatzberg, bouleversant portrait d’une americana tombée en désuétude, et dans lequel il incarne superbement un de ces marginaux célestes qui parcourent le pays la recherche de leurs propres rêves, et malgré les impasses systématiques dressées par un pays de plus en plus cadenassé.
Lire aussi : « Bref » saison 2 : Le naufrage du cool
Gene Hackman, c’est le physique interchangeable dont on ne saura jamais s’il se situe du côté des opprimés ou du gouvernement, des espions ou des espionnés, c’est l’interface faite homme, peut-être à ce titre l’acteur parfait, quelque part entre Yul Brynner, Charles Bronson et Tom Hanks. Mais c’est probablement grâce à son amitié avec Clint Eastwood qu’il trouvera l’épitomé de sa carrière : dans Impitoyable, bien sûr, où il incarne un shérif sans foi ni loi, une manière de clore son rêve américain de la plus abrupte et la plus noble manière.