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Dans son nouveau livre, le philosophe et catholique Guilhem Golfin se livre à une relecture audacieuse, convaincante et profonde des derniers siècles politiques occidentaux. Remettant en cause aussi bien le « souverainisme », de Jean Bodin que le « supra-étatisme » contemporain, il plaide pour un retour au droit naturel.
Vous faites l’histoire des concepts politiques successifs de « souverainisme » et de « supra-étatisme » Comment les définir et quel lien établir entre eux ?
Le supra-étatisme a émergé vers la fin du XIXe siècle, à la fois sur un plan politique et économique. Il s’érige contre le principe qui dominait auparavant, celui de souveraineté qui remonte à Jean Bodin, c’est-à-dire au XVIe siècle. La théorie de la souveraineté s’était vite imposée, comme le montre son utilisation massive par les juristes dès le début du XVIIe siècle. L’élément nouveau de la souveraineté est qu’on passe du bien commun comme finalité du politique à un pouvoir qui trouve en lui-même sa propre justification.
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Pourquoi un changement s’est-il progressivement opéré vers le supra-étatisme à l’époque contemporaine ?
La doctrine de la souveraineté a pu être très utile, notamment dans la Guerre de Trente ans. Elle fait cependant du pouvoir politique l’agent qui définit le bien et mal, notamment chez Hobbes. Dans ce cadre, l’État se soustrait à morale. Par ailleurs, la souveraineté des États est limitée de facto car ce sont les puissances dominantes qui mènent le jeu, l’égalité n’existe pas réellement entre les nations. Finalement, la pleine souveraineté existe surtout pour les États les plus puissants : il faut ainsi relativiser l’efficacité de la théorie de la souveraineté qui ne profite qu’à un nombre assez limité d’acteurs internationaux.
La question des armements et de leur contrôle est aussi devenue particulièrement problématique dans ce cadre, au fur et à mesure que le progrès de la technique les rendait de plus en plus meurtriers. Les premières tentatives du supra-étatisme ont ainsi eu lieu dans ce domaine, avec les conférences de La Haye en 1889 et 1907.
Quels sont les fondements politiques, juridiques et philosophiques du supra-étatisme ?
Il a émergé pour réguler les relations internationales : l’idée est de brider les souverainetés étatiques, si ce n’est de les faire disparaître. Mais les bases philosophiques du supra-étatisme ne sont pourtant pas si différentes de celle de la souveraineté : dans les deux cas on se fonde sur une pensée volontariste et positiviste. Au fond, le supra-étatisme n’est que la transposition au « niveau macro » de la souveraineté.
N’assiste-on pas avec le supra-étatisme à un retour à ce qui a toujours été le but de l’Église catholique, c’est-à-dire de sortir la politique de l’étroit cadre étatique ?
Non, ce n’est pas vraiment le cas : la première conférence de la Haye en est un exemple frappant. Le pape d’alors, Léon XIII, était favorable à sa tenue mais a regretté qu’on s’y appuie sur le droit moderne et non pas la tradition du droit naturel, à laquelle l’Église catholique est très attachée. Il est pourtant vrai que l’Église du XXe siècle s’est en grande partie alignée sur ce droit moderne notamment à travers le personnalisme. Elle est entrée par cela dans la logique du libéralisme politique : l’évolution de la pensée de Jacques Maritain est exemplaire de cet infléchissement.
La force du souverainisme est que le politique y est central. Cela lui permet de s’opposer efficacement à une certaine conception contemporaine du pouvoir qui ne serait qu’économique ou juridique.
Ces évolutions du droit n’ont-elles pas cependant pu être utiles au XXe siècle à l’Église dans la formulation d’une critique à l’égard des totalitarismes ?
Oui bien sûr, notamment à l’époque de Jean-Paul II et de la chute du communisme. Pour comprendre cela, il faut en revenir aux fondements de la pensée de la souveraineté et des objections qui leur sont faits, objections qui mèneront au supra-étatisme. Pour Hobbes, tous les droits des individus ou presque sont abandonnés à l’État. Locke va s’opposer à cela avec l’idée de droits de l’homme inaliénables dont l’État doit être garant. L’objectif est de parvenir à une limitation du pouvoir souverain. La logique est la même pour la critique du totalitarisme au XXe, celle de la limitation du pouvoir étatique pour préserver la liberté individuelle.
Vous critiquez dans votre œuvre à la fois le supra-étatisme et le souverainisme. Mais comment éviter l’un et l’autre ?
Il faut tout d’abord rappeler que la force du souverainisme est que le politique y est central. Cela lui permet de s’opposer efficacement à une certaine conception contemporaine du pouvoir qui ne serait qu’économique ou juridique. Le véritable problème est que le supra-étatisme et le souverainisme sont des frères ennemis qui s’appellent l’un l’autre : à l’origine, le supra-étatisme ne se pense que pour limiter un pouvoir souverain. Il faut sortir de l’impasse dialectique entre ces deux conceptions du pouvoir.
Par exemple aujourd’hui, du point de vue politique, prôneriez-vous la sortie des grands traités internationaux ?
Aujourd’hui, les structures supra-étatistes sont un fait, et il semble difficile de les renverser d’un simple revers de main. Il paraît plus raisonnable de voir au cas par cas quelles sont les structures que le pays pourrait quitter. Les réformer sera malaisé car elles ont été mal construites dès l’origine. Il n’existe pas de solution politique miracle : de fait, le souverainisme a raison de prôner un retour du politique et une autonomie des décisions étatiques. En effet, le supraétatisme fait passer en partie à un pouvoir non plus politique mais strictement économique – l’homme ne serait qu’un homo oeconomicus – et juridique.
Dans la perspective d’évolutions positives, la force du discours public sera aussi prépondérante en permettant de faire évoluer les mentalités des sociétés. Il n’y a par contre pas d’agenda politique précis à appliquer dans l’immédiat. La seule solution véritable, à terme, est d’en revenir aux principes du droit naturel.
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Quels sont-ils, concrètement ?
Ces principes peuvent aujourd’hui nous paraître abstraits, en particulier car ils ne sont pas écrits. Néanmoins, on peut par exemple citer immédiatement, sur la question des mœurs, les grands interdits du Décalogue. Sur le plan international, la question de la régulation des armements, de savoir quelles armes peuvent être utilisées lors des conflits, relève des principes du droit naturel. Ces derniers recoupent globalement les principes moraux universels. Ils sont notamment liés à la notion idée de bien commun, où le pouvoir politique est mis au service du peuple et de la société. Cette vision n’est d’ailleurs pas propre à l’Occident et peut se retrouver dans l’école confucéenne qui influence grandement la Chine.
Mais l’application du droit naturel nécessite-elle l’existence d’un pouvoir spirituel distinct du pouvoir politique, ce qu’a pu incarner traditionnellement l’Église dans l’Occident chrétien ?
Oui, historiquement les principes du droit naturel ont commencé à être incarnés par l’Église sous l’empire romain. Pour réactiver cela, peut-être faudrait-il qu’ait lieu une grande concertation entre les autorités spirituelles majeures afin de s’entendre sur des principes communs.
Aujourd’hui, le pape François s’inscrit-il dans la logique supra-étatique ou dans celle du droit naturel quand il prône l’accueil massif des migrants par les pays occidentaux ?
Le souverain pontife ne s’inscrit pas avec ce discours dans la logique du droit naturel car il n’y pense pas la chose politique. Il raisonne dans le cadre d’une logique contemporaine qui nie la pertinence des peuples. Il refuse en cela l’échelon politique, car la logique du politique est impossible au niveau mondial, dans la mesure où il n’existe pas de peuple mondial malgré les rapprochements les plus contemporains liés au progrès technologique. L’ordre politique, tel qu’il a été défini depuis Aristote, requiert en effet une certaine unité. À vrai dire, l’unité des peuples, inexistante, ne serait même pas souhaitable. La Bible ne parle jamais d’une unité des peuples, la diversité de ces derniers y est sans cesse mise en avant. Favoriser immigration n’est ainsi pas aller dans le sens de la tradition de l’Église qui respecte l’existence des peuples.
Certes, la grâce produit une assomption de la nature, la dépasse. Cependant elle ne la supprime jamais. Le droit naturel s’inscrit dans un ordre des choses abîmé par le péché mais pas détruit, qui doit être restauré. Il n’existe pas d’opposition entre la nature et la grâce.
Les prescriptions de l’Église doivent-elles se limiter au cadre du droit naturel ? Si l’on prend l’exemple de l’indissolubilité du mariage, cette dernière relève-t-elle seulement du droit naturel ou la grâce apporte-elle l’une dimension supérieure ?
Certes, la grâce produit une assomption de la nature, la dépasse. Cependant elle ne la supprime jamais. Le droit naturel s’inscrit dans un ordre des choses abîmé par le péché mais pas détruit, qui doit être restauré. Il n’existe pas d’opposition entre la nature et la grâce. Peut-être qu’une société totalement catholique aurait des exigences supplémentaires au droit naturel, mais ces dernières ne le contrediraient pas. Un socle commun existerait entre les exigences dues à la grâce et celle dues au droit naturel.
Pensez-vous que les civilisations sont condamnées à s’affronter entre elles ? On pense notamment à la question du voile qui semble illustrer cet affrontement en France ?
Non, les civilisations ne sont pas irrémédiablement contradictoires. Le problème réside dans le fait de les faire cohabiter sur le même territoire. Elles peuvent parfaitement exister dans des territoires différents. Il faut toujours qu’existe une religion qui domine dans un espace donné et imprime sa marque sur la culture. Sinon, on va à la guerre civile, si deux religions sont « à égalité » au même endroit. Surtout deux religions universalistes comme la chrétienté et l’islam.
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Finalement, le droit naturel n’est-il pas contradictoire dans sa vocation à l’universel, dans le sens où c’est toujours une tradition qui le rend souhaitable ?
Je ne le crois pas. Si on prend l’exemple de la règle d’or, sous ses différentes formulations, cette dernière existe dans à peu près toutes les civilisations du monde. Si l’on part de l’idée, contraire aux modernes, de nature humaine, on tend nécessairement vers le droit naturel. Il peut certes exister des mécompréhensions de ce droit par certains hommes ou certaines sociétés. Mais, en dernière instance, il n’existe que deux alternatives : soit le relativisme moral, soit le droit naturel.
Propos recueillis par Jacques de Guillebon
Babylone et l’effacement de César
Éditions de L’Homme nouveau
130 pages, 12€
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