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Histoire : et si la République était arrivée dans les fourgons de l’étranger ?

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4 septembre 2020

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La France vit en République depuis 1870. Le président Macron a célébré cet anniversaire par un discours au panthéon. Mais les circonstances de l’avènement de ce régime devraient enjoindre ses laudateurs à un peu plus de circonspection.

1814, 1870, 1940… ces dates marquent une défaite militaire en même temps que la chute d’un régime politique. Leur souvenir est nécessairement équivoque et peut servir, selon l’humeur des dirigeants, de prétexte au deuil comme aux célébrations – même si une damnation unanime (et légitime) prévaut pour la plus tardive. 1814 et 1870 toutefois ne sont pas logées à la même enseigne mémorielle. La vulgate a statué sur Louis XVIII  : homme de paille revenu « dans les fourgons de l’étranger » au bénéfice de la terrible année 1814.  La mémoire nationale juge moins sévèrement la République de 1870. Elle doit pourtant moins à un élan qui lui serait propre qu’aux menées de l’étranger, circonstances extérieures de sa fondation ou à l’habileté des ennemis de la France.

Célébrer la défaite

Tout à son habitude onirique, peut-être cette fois prémonitoire, le président de la République célébrait ce matin au Panthéon une défaite militaire. La République selon ses mots lyriques et l’effet de sa voix chevrotante se serait révélée en un providentiel coup de foudre, suivie de noces précipitées, entre un peuple et sa liberté. Elle marque le début d’une ère de liberté et l’amorce des grandes lois qui servent encore de cadre à la vie publique.

Rappel pénible mais indispensable : un évènement est rarement miraculeux et procède toujours de circonstances historiques ; pour favorables, celles de 1870 n’étaient pas de glorieuses. La défaite de Sedan avait été humiliante pour la France, comme l’était la captivité de Napoléon III. La catastrophe nous fit chercher une issue de secours ; comme celle d’un régime que personne d’autre ou presque n’attendait, sinon le hasard et quelques intrigants. La dynastie du second Empire, juste avant-guerre, semblait confortée. Le dernier plébiscite du 8 mai 1870 donnait 82% d’approbation à l’empereur. La république n’avait pas de véritable assise populaire même si l’empire libéral avait accordé une tolérance souterraine à certains réseaux qui lui étaient pourtant hostiles.

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La république doit tout à la défaite. Si on tenait vraiment à ne pas annuler la partie, c’est elle qu’il fallait célébrer aujourd’hui. Pour le reste, le jour du 4 septembre dans l’histoire de France comme dans celle de la République, ne signifie à peu près rien. Pour les faits, si un nouveau régime politique a bien  été proclamé ce jour en 1870, si Gambetta s’est bien fait entendre en parlant un peu plus fort que les autres, si juste à sa suite, on vit des clubs englobant l’agitation tricolore de quelques individus à Paris, à Lyon ou à Bordeaux; et si enfin, dans une France où tout vacillait, la vacance du pouvoir a fait se confondre la projection avec le provisoire, le fait de n’être plus rien et celui de vouloir être tout et peut-être la grandeur avec le néant… assurons le lecteur que la date n’installe pas le régime qu’elle célèbre.

La République n’est pas née en 1870 et cette forme de gouvernement était du reste bien connue des français. Deux républiques antérieures sont opportunément effacées de leur mémoire : l’une en 1792 pour s’être achevée dans la terreur, l’autre en 1848 pour s’être échouée dans le ridicule. Et les républicains de 1870 ont été sévèrement et démocratiquement battus aux élections du 8 février 1871 où le peuple envoie une assemblée monarchiste, conforme à ce qu’était sa constitution profonde. Ce sont les évènements postérieurs qui installent, un peu par hasard, une forme républicaine : le manque de sens politique du Comte de Chambord et les bisbilles entre légitimistes et orléanistes.

L’Allemagne a trop à perdre du retour des Bourbons en France, lesquels pourraient unir ses adversaires en une nouvelle sainte alliance englobant l’Italie, l’Espagne, la Pologne et peut-être la Bavière

L’histoire est d’ailleurs connue pour son anecdote : le refus du prince d’accepter le drapeau tricolore, pavillon selon lui d’une monarchie bâtarde.  Au lieu de quoi, nous eûmes finalement une République bâtarde. Installée en catimini et dans l’urgence par les amendements Wallon  en 1875, finalement sanctionnée par le suffrage d’une opinion un peu lassée de ces retournements en 1877, la troisième république s’est révélée pour ce qu’elle fut : un régime d’impuissance et de discorde. Incapable aussi de mener durablement la politique énergique de ses intérêts et du temps.

Bismarck : le fondateur de la Troisième République

Il n’est pas douteux que Bismarck prit une part active dans ces évènements. Quand l’ambassadeur Hohenlohe quitte Berlin, pour prendre son poste à Paris, les instructions sont claires : « Sur la France, note Hohenlohe, le 2 mai 1874, au sortir d’une entrevue avec le chancelier, Bismarck me dit qu’avant tout nous avions intérêt à ce qu’elle ne devînt pas assez forte à l’intérieur ni assez considérée à l’extérieur pour arriver à se faire des alliés. Une République et des discordes civiles seraient une garantie de la paix. Le prince convenait qu’une République forte serait sans doute un mauvais exemple pour l’Europe monarchique. Cependant, si je l’ai bien compris, la République lui paraît moins dangereuse que la Monarchie qui favoriserait à l’étranger toute espèce de désordre… De tous les monarques de France, les Bonaparte sont pour nous les meilleurs. Mais le mieux serait encore que la situation présente pût durer. »

L’ambassadeur a pour mission de faire échouer le Comte de Chambord dans ses menées restauratrices. Il établit des relations cordiales avec Thiers et Gambetta. Il participe aux rencontres, devient un pont entre républicains conservateurs et avancés : et fait peser tout le poids de sa puissance de tutelle sur le sort de la France. Au besoin, pour mobiliser l’opinion Gambettiste, on disait Bismarck prêt à se faire menaçant en mettant en scène quelques coups de manche depuis Berlin. L’Allemagne a trop à perdre du retour des Bourbons en France, lesquels pourraient unir ses adversaires en une nouvelle sainte alliance englobant l’Italie, l’Espagne, la Pologne et peut-être la Bavière. Aussi, elle entend faire subir à la France le même sort que celui réservé par le traité de Westphalie : diviser son vieil ennemi en féodalités partisanes pour le pacifier comme elle l’avait été en féodalités princières en 1648.

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A Paris, la tâche d’un nouveau pouvoir serait lourde. Comment protéger la paix sur la carte d’une Europe bouleversée par le phénomène des nationalités tout en y maintenant le rang et la position de la France ? Ce dilemme, celui de la politique traditionnelle de la France, commandait de la patience, du courage, de la persévérance et du sens politique. La troisième République a préféré à ces vertus une toute autre attitude ; soit l’épuisement en caprices parlementaires et en une suite de guerres civiles politico-religieuses.

Avec faste, nous fêtons aujourd’hui l’étrange victoire d’un régime de défaite, d’intrigues et d’importation. Aucun rappel historique n’a de toute façon gâché aucune fête. A quand d’ailleurs une statue de Bismarck – cet homme à qui la République doit tant – à l’entrée des Invalides ? Si l’on trouve si glorieuses nos humiliations nationales, pourquoi ne pas célébrer avec elles, aujourd’hui même, les massacres de septembre 1792 ? Le calendrier historique n’est pas contre. Le sens commun non plus puisque la foule, soit s’associe aux évènements, soit les suit docilement, soit n’y entend rien du tout.  Plus habile rhéteur qu’homme d’Etat, le Président de la République pourra enfin sauter sur son siège en s’écriant comme un cabris «  vive la République vive la République ».

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