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Maxime Michelet : « Le principe monarchique ne s’est pas effacé en quelques instants dans la conscience nationale du XIXe siècle »

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Publié le

18 mars 2020

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Auteur d’une biographie remarquée de l’impératrice Eugénie qui vient d’être publiée aux éditions du Cerf, Maxime Michelet revient sur la légende noire du second Empire instaurée dès les débuts de la IIIe République pour discréditer à tout jamais un régime qui portait en lui le principe monarchique.

 

Êtes-vous nostalgique du second Empire ?

 

La nostalgie ne me semble pas être un sentiment très scientifique pour l’historien et ne me semble pas davantage être un sentiment très louis-napoléonien. Napoléon III n’était pas un souverain nostalgique. Lorsqu’il restaure l’Empire en 1852, il ne reprend pas à l’identique les institutions et les pratiques de son oncle mais sait innover tout en demeurant fidèle à l’héritage reçu. Chaque époque doit savoir ce qu’elle doit au passé sans s’enfermer dans un immobilisme nostalgique et il me semble que les Bonaparte ont porté haut ce principe en étant d’admirables bâtisseurs d’avenir.

 

Si je ne suis pas nostalgique, ne souhaitant pour rien au monde revenir en 1852 et bien heureux de vivre en 2020 même si – tout comme 1852 – il y a bien des combats à mener et bien des erreurs à corriger dans notre siècle, je suis infiniment reconnaissant. Napoléon III a été un grand chef d’État, capable de redonner à la France toute sa place en Europe, capable de faire rayonner notre pays dans le monde entier, capable d’audaces sociales particulièrement marquantes, capable d’adapter son régime sans dogmatisme et capable d’être fidèle à l’âme nationale sans s’interdire aucune modernisation nécessaire.

 

Lire aussi : Et si le Brexit était l’occasion de rapatrier le corps de Napoléon III ?

 

La puissance modernisatrice du règne de Napoléon III est assurément la dimension la plus admirable de cette époque. Il suffit pour cela d’admirer le Paris louis-napoléonien dans lequel nous vivons et d’imaginer la vision et la détermination qu’il a fallu à l’Empereur pour mener l’ensemble de ces grands travaux sans lesquels notre capitale ne serait pas ce qu’elle est. Et dans ce domaine, significativement, Napoléon III a dû tenir face à la fronde nostalgique de ceux qui, fantasmant le Paris médiéval, refusaient la modernisation nécessaire de la ville : la nostalgie est bien fantasme là où l’héritage est reconnaissance.

 

Êtes-vous fasciné par l’esthétisme et le faste de la vie politique impériale ?

 

Absolument. La légende noire du Second Empire en a fait un élément de dénigrement du régime impérial, brossant le tableau de fastes décadents inutilement dispendieux. Nous n’avons pourtant pas à en avoir honte.

 

Il faut tout d’abord replacer ces fastes dans le contexte de l’époque où l’Europe toute entière est une Europe monarchique : pourquoi la France aurait-elle dû se diminuer dans l’austérité plutôt que de s’imposer comme plus brillante encore que les cours de Londres, Vienne ou Saint-Pétersbourg ?

 

Et ce faste n’était pas inutile. Il n’est pas inutile de rassembler autour du trône impérial toutes les élites de la société française. En ce sens, les séries de Compiègne sont un modèle du genre, organisées en séries thématiques capables de réunir tout ce que la France possédait de plus brillant. Et le XXIe siècle est-il bien placé pour dénigrer les phénomènes de cour du XIXe siècle ? Les phénomènes de cour et de courtisanerie qui irriguent beaucoup de nos élites valent-elles mieux ? En ont-ils seulement l’éclat ? La question peut se poser.

 

Parlons de la légende noire de l’impératrice. Vous semblez dire qu’il s’agit, avant tout, d’une revanche de la IIIe République, qui aurait fait passer Eugénie pour une frivole inconséquente et réactionnaire.

 

La légende noire du Second Empire, et celle qui s’attaque à l’Impératrice également, est un mécanisme de revanche. Il n’y a là rien de très étonnant ni de forcément condamnable. D’ailleurs, l’historien n’est pas un juge. Cette légende noire est même – si j’osais – un des hommages les plus vibrants rendus par les successeurs de Napoléon III à l’œuvre de son règne. On ne combat avec autant de violence et de brutalité que ce qu’on craint très profondément. Pour la République, l’héritage de Napoléon III et le bonapartisme qui s’en réclamait étaient des menaces sérieuses, notamment dans ce peuple des campagnes que les opposants à l’Empire ont voulu caricaturer en une masse aussi bête que méchante, servilement dévouée à l’Empereur par ignorance (mais qui deviendra – magiquement – une masse noble et éclairée lorsqu’elle se ralliera au nouveau régime).

La légende noire du Second Empire, et celle qui s’attaque à l’Impératrice également, est un mécanisme de revanche.

Le Prince impérial, fils unique de Napoléon III et Eugénie, ne fut peut-être pas la menace mortelle que d’aucuns rêveraient et la direction conservatrice prise par le bonapartisme au cours de la décennie 1870 – et que le Prince impérial ne partageait guère – ne pouvait que mécaniquement le couper de son aspiration unitaire voire unanimiste. Mais fils d’Eugénie était sans doute le concurrent le plus solide et le plus sérieux à laquelle la République aurait pu faire face. Trancher cette question est impossible puisque cette figure austère et attachante a tragiquement trouvé la mort en 1879, à 23 ans.

 

Vous soulignez que la légende noire de l’Impératrice est particulièrement misogyne ; n’y a-t-il pas un fond de misogynie typique des Républicains ?

 

La misogynie est en effet l’élément le plus saillant de la légende noire de l’Impératrice. Elle est décrite comme sotte, hystérique et réactionnaire. Certains biographes – plus romanciers qu’historiens – soulignent bien que ses défauts supposés furent des défauts de femmes. Ainsi de Frédéric Loliée, en 1907, qui conclut tout simplement : « Elle était femme. »

 

Une misogynie qui n’est malheureusement pas l’apanage des seuls républicains. Eugénie elle-même d’ailleurs réintègre parfois dans ses propres discours une part de la misogynie structurelle des sociétés du XIXe siècle, tout en étant – dans la pratique – une femme souvent à l’opposé de ce que les attentes misogynes voudraient qu’elle soit. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes audacieux d’Eugénie.

 

Sur la question romaine, vous évoquez l’ultramontanisme de l’impératrice qui aurait cependant toujours fait passer les intérêts de la France avant ses sentiments personnels. Sait-on si sans elle, Napoléon III, empêtré dans des promesses contradictoires, aurait abandonné les Etats pontificaux aux troupes de Cavour et Garibaldi ? Comment était-elle perçue par le monde catholique de l’époque ? Apparaissait-elle comme un recours pour les ultramontains ?

 

Sur la question romaine, l’Impératrice n’a pas de politique fondamentalement divergente de celle de son mari. Je ne crois pas davantage que l’Empereur se soit enfermé dans des promesses contradictoires : pour lui, l’unité italienne était compatible avec le pouvoir temporel. Mais un pouvoir temporel réduit au strict nécessaire, un territoire assez vaste pour être libre mais assez étroit pour ne pas devoir excessivement s’investir dans les affaires politiques. C’est l’esprit de la brochure Le Pape et le Congrès publié fin 1859.

 

Dans une lettre à sa sœur, l’Impératrice approuve les propositions émises par cette brochure et qui seront les grands axes de la politique impériale sur la question romaine. Elle reconnaît même qu’il s’agit d’une « voie bien épineuse pour le Saint-Père comme pour tous », faisant preuve d’un esprit de nuance dont la légende noire manque bien souvent.

Loin de l’ultramontaine hystérique, Eugénie est une femme de foi, attachée au pape et à son pouvoir temporel mais consciente des difficultés de la question.

Loin de l’ultramontaine hystérique, Eugénie est une femme de foi, attachée au pape et à son pouvoir temporel (comme l’est alors la majorité des catholiques français) mais consciente des difficultés de la question et capable même de souligner les manquements du pouvoir pontifical qui empêchent la résolution du problème. Elle peut ainsi écrire en 1860 : « Les préventions du Saint-Siège contre la politique de l’Empereur et, surtout, les illusions qui se forment autour de lui, rendront, je le crains, une bonne solution bien difficile. »

 

Le goût très français de l’opposition manichéenne de deux camps dont l’un doit l’emporter sur l’autre pour que la marche de l’histoire puisse se faire devrait non seulement être sortie de notre vie politique mais plus encore de notre vision du passé. L’Impératrice était une femme aux réflexions nuancées et non une pasionaria dogmatique.

 

On reproche aussi à Eugénie d’être responsable de la guerre de 1870. Or, vous montrez bien qu’une telle décision ne pouvait relever d’elle. Qui en porte donc la responsabilité ?

 

En réalité, l’Impératrice veut la guerre en 1870 comme la souhaitait déjà en 1866. Quatre avant la guerre franco-allemande, quand la Prusse écrase l’Autriche à Sadowa, bien consciente de la menace prussienne, elle souhaite que l’armée française soit mobilisée sur le Rhin. Quatre ans après, elle ne considère pas la menace prussienne comme moindre. Elle est cohérente.

 

Lire aussi : Mariage du prince Napoléon aux Invalides, un nouvel espoir pour les bonapartistes

 

Dans son excellent livre sur le conflit de 1870, Stéphane Audoin-Rouzeau consacre des pages prodigieusement intéressantes aux mécanismes qui mènent à la déclaration de guerre, aux pressions de l’opinion publique et à la configuration diplomatique comme politique. Et il nous rappelle qu’il est bien facile – à nous qui savons comment la guerre s’est transformée en débâcle – de juger les actions de nos prédécesseurs. Mais qu’en réalité, si on replace la déclaration de guerre dans son contexte, ce n’est pas une décision si irrationnelle.

 

Maintenant, il n’est pas inutile de rappeler que, dans les années qui précédèrent 1870, l’Empereur a voulu renforcer l’armée française, notamment grâce à l’action du maréchal Niel. Et qu’une opposition stérile et systématique est venue détricoter ce projet. L’Empire est bien entendu responsable de la défaite, il était le gouvernement. Mais seul responsable ? Certainement pas. Ce qui est certain c’est que l’impératrice Eugénie n’avait ni l’assise ni l’influence politiques pour jouer un rôle déterminant dans la prise de décision. Elle fut favorable à la guerre, elle n’en fut pas responsable.

 

Sans la défaite de Sedan, l’Empire n’avait pas de raisons de s’effondrer puisque le plébiscite du 8 mai 1870 est un succès personnel pour l’empereur. Dès lors, l’impératrice n’avait-elle pas d’autres cartes à jouer face au coup de force des Républicains en septembre 1870 ? Une politique de fermeté doublée d’un retour personnel de l’empereur dans sa capitale n’aurait-elle pas pu empêcher la chute du régime ?

 

Si l’Empire s’effondre si brutalement dans la guerre c’est tout de même que, malgré son assise populaire, il souffre de plusieurs faiblesses. On meurt rarement en pleine santé. Mais, en effet, après le plébiscite l’Empire semblait plus puissant que jamais et – même s’il est toujours acrobatique de faire de l’uchronie – sa chute immédiate semblait peu probable.

Certains ont conseillé à l’Impératrice une politique de fermeté et il faut être reconnaissante à notre souveraine de ne pas avoir écouté ses conseillers de guerre civile.

Le 4 septembre 1870, c’est l’émeute qui balaie le Corps législatif et fait chuter l’Empire. Certains ont conseillé à l’Impératrice une politique de fermeté et il faut être reconnaissante à notre souveraine de ne pas avoir écouté ses conseillers de guerre civile. Le 3 au soir, quand on lui propose de renforcer la présence militaire dans Paris, elle rétorque que les soldats doivent se trouver devant l’ennemi et non devant l’émeute. Pour Eugénie, seule la France compte. Et elle s’efface sans résister le lendemain pour ne pas déclencher de guerre civile et ne pas doubler l’invasion étrangère par l’implosion nationale. Son opposition au retour de l’Empereur se fonde sur la même analyse : ne pas maintenir le régime au prix de la guerre civile.

 

Quand le sang des Français coule au milieu de la bataille, on ne le fait pas couler au milieu de Paris pour sauver sa couronne. C’est là l’honneur d’Eugénie.

 

Sur le fond, pensez-vous qu’il était possible d’acclimater le principe monarchique dans la France issue de la Révolution française ? Le désir de synthèse que souhaitait le second Empire n’était-il pas voué à l’échec du fait du caractère irréductible de la guerre des deux France, celle issue de 1789 et celle attachée aux principes contre-révolutionnaires ?

 

La France contre-révolutionnaire stricto sensu est une France marginale au XIXe siècle. Ce sont les ultras de la Restauration. Les acquis de la Révolution sont admis majoritairement et au sein de cette solide majorité on trouve le courant libéral (orléaniste), le courant bonapartiste et le courant républicain. Par définition, seuls les deux premiers ont essayé de marier ces principes issus de la Révolution avec le principe monarchique. Ils auraient pu réussir.

 

Que serait devenu le règne de Louis-Philippe si son fils, héritier prometteur, n’était pas mort en 1842 ? Et que serait devenu la suite du règne de Napoléon III, puis le règne de Napoléon IV, autre héritier prometteur, si l’Empire n’avait pas trébuché en 1870 ? Impossible d’y répondre mais impossible aussi d’affirmer que ce mariage était voué à l’échec par nature. La fin du Second Empire semble même nous indiquer qu’une réussite était tout à fait possible. Le principe monarchique, hérité des siècles, tout en se transformant, ne s’est pas effacé en quelques instants dans la conscience nationale du XIXe siècle. D’aucuns diront même qu’il a survécu jusqu’à la Ve République dont les institutions ne sont pas fondamentalement très différentes de celles de l’Empire de 1870.

 

Propos recueillis par Benoît Dumoulin

 

Maxime Michelet : L’impératrice Eugénie, une vie politique, Paris, Le Cerf, 2020. Commander l’ouvrage ici.

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