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La poésie est le genre suprême. C’est le langage dans sa vocation créatrice pure, dans son rayonnement optimal. Depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est malheureusement en France un genre déchu. Il y a plusieurs raisons à cela.
D’abord, beaucoup de poètes, à l’instar de nombreux musiciens, ont versé dans un art de laboratoire n’intéressant que les chercheurs. D’un autre côté, la société de consommation et de confort, prônant le divertissement perpétuel, valorise les pratiques inférieures de l’art, lesquelles, depuis, n’ont fait que s’abaisser encore. On a besoin de poésie au sein du désastre, quand les fondations tremblent, quand on avance sous le viseur de l’ennemi.
On imagine mal une subite envie de lire le dernier Foenkinos ou de réciter des passages entiers de Despentes, au moment où le ciel se couvre d’avions de guerre. En revanche, durant le dernier conflit mondial, on bombardait des poèmes d’Éluard, on sonnait le débarquement par des vers de Verlaine, et même dans les camps de la mort, la dignité bafouée de l’homme résistait par des poèmes composés la bouche close. Non seulement la poésie est possible après Auschwitz, mais on pourrait même avancer qu’elle est la seule chose encore possible. Et nous oublierons les cadavres de ceux qui prétendaient le contraire.
Non seulement la poésie est possible après Auschwitz, mais on pourrait même avancer qu’elle est la seule chose encore possible.
Voilà, en tout cas l’une des raisons pour lesquelles, au contraire de la plupart des magazines contemporains, L’Incorrect alloue encore une place à la reine des arts. Et puis, puisqu’on recommence assez régulièrement à nous tirer dessus et prétendre abolir notre être, puisque des héros se lèvent au moment où le péril croît, ne peut-on espérer que cette guerre civile mondiale de basse intensité où la France retrouve une situation symbolique cardinale ait, du moins, cette vertu : celle de nous obliger à nous dresser à nouveau sous le soleil du sens ? Si le sang coule, alors l’encre doit le garantir autrement que par les inutiles bluettes que l’industrie culturelle promeut avec autant de cynisme que de bêtise depuis si longtemps.
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Pour l’heure, voilà qui n’est pas précisément au point. Quel genre de poésie – ou de résidu du poétique – est, en ces temps de retour au tragique, exposé au Français commun ? Eh bien, celle du slammeur Grand Corps Malade, par exemple, dont le plus grave handicap n’est pas le plus visible, et qui vient ânonner chez Ruquier de telles niaiseries sentimentales qu’elles vous rendraient aussitôt partisan du marquis de Sade. De surcroît, le baryton du lieu commun s’épanche devant un parterre de vieilles vedettes qui singent l’extase obligée comme des duchesses rougissant devant la pâte-à-modeler du royal marmot, ces individus, qui ont tout de même lu Rimbaud à l’école, s’imaginant acculés à verser des larmes quand résonnent à leurs oreilles des vers comme : « Parce que le temps n’a pas d’emprise sur la couleur de tes yeux », comme si personne avait jamais craint de vieillir de l’iris. Il y a encore beaucoup d’élan à prendre, décidément, avant que la poésie ne retrouve sa place. Mais nous sommes certains de celle-ci : au-dessus de tout.
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