Nombre d’auteurs excellents ont vanté les mérites des listes, Borgès, Quignard et Eco, pour ne citer que ceux-ci. Ils goûtent le charme des catalogues obsolètes, des taxonomies aberrantes, des nomenclatures absconses et des choix fermés et abrupts. On sent qu’ils prisent par-dessus tout d’une part l’affirmation très personnelle d’un monde intelligible et vivable parce que réduit à des catégories qui visent à l’objectivité, d’autre part la distance évidente entre cette réduction et la réalité ; distance qui témoigne autant des préjugés de l’auteur que de l’état de la science, de la vanité de prétendre épuiser le monde que de l’égocentrisme le mieux assumé.
L’inventaire, lui, n’est pas une liste. On devine dans l’entreprise d’inventorier une volonté honnête, obstinée, méticuleuse et humble pour rassembler ce qui, réellement, épuise un sujet, au moins momentanément. Les catalogues d’étoiles, les sommes consacrées à un seul peintre, les traités anatomiques et les bases de données de fossiles ne prétendent pas être originaux ni expliquer le monde : ils offrent au chercheur comme au curieux une portion de réel la plus complète possible qui, dans son principe même de collection, avoue son incomplétude et appelle le suiveur qui, à son tour, entassera ; avec toujours le risque du scribe malfaisant supprimant telle référence ou ajoutant, saugrenue mais désormais répertoriée, telle entrée frauduleuse (l’arabe dialectal fait ainsi partie de la liste des langues de France, établie par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, la DGLFLF, aux côtés du gallo, du mahorais, du normand et de l’arawak) ; mais tous les hommes ne sont pas pervers et ceux qui dressent des catalogues donnent généralement foi en l’humanité. [...]
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