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Robert Kerr, ancien officier de l’armée canadienne, a étudié les langues et littératures sémitiques à Vancouver, Tübingen et Leyde. Après avoir enseigné dans plusieurs universités au Canada, il est maintenant directeur de l’Institut Inârah à l’Université de la Sarre (Sarrebrück) – Institut pour la recherche sur l’histoire des origines de l’islam et du coran (www.inarah.de).
Professeur Robert Kerr, comment en êtes-vous venu à travailler sur les origines de l’islam ?
Mon principal domaine de recherche, ce sont les langues et littératures sémitiques anciennes. Dans le domaine des études islamiques, ma curiosité a été éveillée lorsque j’ai relevé des contradictions fondamentales entre d’une part le récit traditionnel de la conquête musulmane – l’irruption des Arabes du désert, culbutant tout sur leur passage – et ses preuves historiques prima facie, et ce que la recherche met à jour d’autre part : absence de dommages de conquête significatifs, absence de mentions à Muhammad ou à l’islam dans les inscriptions anciennes.
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Et plus généralement, silence « religieux » du Hedjaz (*) au VIIe siècle, dans lequel on ne retrouve pas la production théologique qui aurait dû être la sienne selon le cadre historique posé par l’islam. C’est ainsi que je consacre désormais une grande partie de mes recherches aux origines de l’islam.
[(*) : Hedjaz : région d’Arabie où se situent Médine et La Mecque, et dans laquelle le récit traditionnel place les origines de l’islam]
Que pensez-vous de l’état de la recherche sur les origines de l’islam ?
C’est un domaine en plein bouillonnement, avec une quantité incroyable de découvertes. On peut y distinguer deux écoles :
- Les « traditionalistes », qui reprennent en grande partie le récit traditionnel musulman : l’islam apparait avec Muhammad, qui est à l’origine du Coran et qui s’est présenté comme un prophète inspiré par Dieu. Ils ont une grande influence dans les media grand public, et sont enseignés généralement dans les écoles et les universités. Pour l’essentiel, ils se fondent sur les sources écrites de la tradition islamique (datant d’au moins 150 à 200 ans après Muhammad) et non sur l’analyse scientifique intégrale. Ils frayent aussi pour beaucoup avec le politiquement correct et les présupposés du décolonialisme (il ne faudrait pas offenser les minorités), qui n’ont pourtant rien à voir avec la science.
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- Les « révisionnistes », comme on les appelle pour les dénigrer, disons plutôt les « critiques », cherchent simplement à analyser de manière critique, sans préjugés, toutes les traditions, toutes les sources, tout ce à partir de quoi se fait la recherche historique. Cette école a ainsi produit ces dernières années des découvertes très importantes, qui invalident l’école « traditionnaliste » et mettent très sérieusement en cause les fondements de l’islam. Elle a démontré par exemple que le noyau historique réel de la tradition musulmane est très maigre, et que l’islam n’est pas apparu comme une nouvelle religion en soi, mais qu’il est issu premièrement de conflits opposant diverses sectes et courants de chrétiens sémites, au sens large, et divers dogmes christologiques, et puis, par la suite, d’une construction progressive comme religion impériale.
L’école « révisionniste » semble avoir déclenché une sorte de révolution dans les études sur l’islam. De quoi s’agit-il ?
Oui, comme c’est le cas aussi pour d’autres disciplines philologiques scientifiques, l’islamologie est en train d’être transformée par les études critiques. L’école « traditionaliste » doit comprendre que :
- Les premiers historiens islamiques ne peuvent pas être utilisés comme source historique sans un très sérieux appareil critique. Tout comme les récits de l’Ancien Testament sur l’Israël biblique, les récits de Tite Live sur la fondation de la Rome antique (Romulus et Remus) ou encore ceux l’histoire de l’Église par Eusèbe de Césarée, qui décrivent en fait un passé idéalisé. La littérature islamique traditionnelle doit être considérée de la même manière, ainsi que son commentaire islamique médiéval postérieur, très conformiste.
- L’historicité de Muhammad est au mieux discutable. Les sources utilisées pour sa biographie traditionnelle – en fait une hagiographie – sont toutes tardives et souvent fantasques. Le « Muhammad de la foi » doit plutôt être considéré comme une construction littéraire destinée à légitimer le Coran, selon le modèle prophétique de la Bible. Tout comme le Moïse biblique, il peut être vu comme une figure spirituelle mais non comme un personnage historique.
- Il est clair que le Coran a été écrit par plusieurs auteurs et a émergé sur une longue période, de deux siècles au moins. Il est le fruit de débats théologiques persistants dans l’Antiquité tardive proche-orientale. Il devait s’agir initialement d’un recueil ou lectionnaire de textes plus ou moins bibliques destinés aux arabophones, qui a été peu à peu modifié et islamisé à un stade ultérieur – au point même que de nombreux passages n’ont souvent aucun sens en arabe ! Nous sommes face à un texte composite contenant de nombreuses interpolations, comme les quatre mentions supposées à « Muhammad » qui sont clairement des rajouts tardifs. On ne peut donc attribuer la paternité du Coran comme nous le connaissons au « Muhammad de l’histoire ».
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- Le site de La Mecque et, plus généralement, le Hedjaz en Arabie comme lieu des origines de l’islam posent problème : on n’y retrouve pas les traces de l’environnement juif et chrétien originel que le récit traditionnel a occulté mais que l’analyse critique du Coran et de la tradition a établi. On ne peut résoudre cette contradiction en inventant ce contexte ex nihilo, comme le font beaucoup de « traditionnalistes ». C’est ce que montrent en particuliers les études linguistiques : l’essentiel du vocabulaire théologique du Coran, dont de nombreux concepts théologiques, a en fait été emprunté au syriaque et arabisé, à l’image par exemple du vocabulaire culinaire anglais qui a été en partie emprunté au français. Le syriaque étant la langue liturgique du christianisme du Moyen-Orient de l’Antiquité tardive (et toujours aujourd’hui dans la Syrie moderne, l’Irak et le sud de la Turquie, la jairat al-`arab, ou « l’île arabe »), il y a donc eu une forme d’exposition des populations arabes proto-musulmanes au christianisme syriaque, laquelle est inconcevable dans le Hedjaz. Ce qui force à conclure que les origines du Coran sont à trouver ailleurs.
Quelles sont les réactions des musulmans à ces découvertes ? Comment l’islam peut-il répondre au défi posé par la recherche historico-critique ?
Évidemment, vu que les institutions et autorités du monde islamique sont prises en otage par des musulmans conservateurs, ce n’est pas à ce niveau que l’on discutera des thèses critiques. Mais celles-ci font cependant l’objet de débats très animés dans la société civile. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, les gens commencent à poser des questions critiques et ne dépendent plus exclusivement des religieux pour trouver les réponses.
Je ne sais pas comment « l’islam » répondra vu que je m’attache toujours à distinguer les personnes musulmanes de l’islam comme doctrine. Et ce d’autant plus que, pour l’essentiel, les réactions islamiques officielles se résument au déni, à l’ignorance des résultats de la recherche scientifique pour continuer comme si de rien n’était. Pendant ce temps, les découvertes font leur chemin dans les esprits.
Les découvertes, théories et méthodologies nouvelles bousculent tout, à l’image des études de l’Ancien Testament de la seconde moitié du XIXe siècle.
Il faudra sans doute une longue période d’incubation pour en voir les résultats. Les recherches historico-critiques sur l’Ancien et le Nouveau Testament avaient libéré le judaïsme et le christianisme du dogme scripturaire. C’est ce qui finira par arriver pour les musulmans.
Et quelles sont les réactions en Occident ?
L’étude critique de l’islam et de ses origines, ou de ses relations avec le terrorisme et la violence, est souvent assimilée au racisme, à tort. On est toujours soumis aux schémas idéologiques erronés d’Edward Saïd (professeur à l’Université de Columbia de nationalités palestinienne et américaine, fondateur des études « postcoloniales », et auteur du livre Orientalism – Pantheon Books, 1978, traduit en français sous le titre L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, Le Seuil, 1980).
Ces mêmes schémas que prône toujours après lui une certaine gauche pour laquelle les musulmans sont fondés à se venger perpétuellement de l’impérialisme occidental, et pour laquelle les recherches critiques s’apparentent au dépouillement des Arabes de leur histoire et de leur identité. Il en résulte des pressions certaines, parfois très brutales, sur les chercheurs. Il faut y ajouter celles qu’engendre le soutien des instances politiques occidentales à l’islam fondamentaliste : à la fois au plan international, mais aussi en laissant se développer en Europe toute une prédication musulmane extrémiste, laquelle est une cause directe du terrorisme.
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Quoi qu’il en soit, même s’il peut être difficile de poursuivre des recherches critiques à cause du politiquement correct, de ces pressions et de la domination persistante de l’école traditionnaliste dans les milieux universitaires, l’école critique gagne peu à peu du terrain. Les découvertes, théories et méthodologies nouvelles bousculent tout, à l’image des études de l’Ancien Testament de la seconde moitié du XIXe siècle. On peut encore les ignorer, comme le fait l’école traditionnaliste.
Mais ses arguments fondent comme la neige au printemps, et de fait, c’est principalement son inertie qui lui permet de survivre encore. Une révolution est en cours, et d’ici vingt ans, je prévois que l’école critique sera devenue la norme.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]