L’Institut d’études de géopolitique appliquée (EGA) a récemment publié un rapport intitulé : « Le Maroc : quel statut vis-à-vis de la France et de l’Europe ? » que vous avez pu consulter. Il y décrit une situation tendue en développant les enjeux de la crise diplomatique. Que dire des relations franco-marocaines ?
Les relations franco-marocaines traversent effectivement une phase de turbulences, mais la défiance n’est pas généralisée et l’hypothèse d’une rupture entre les deux pays semble aussi peu souhaitable que peu probable. Les divergences sont localisées sur des problématiques de souveraineté bien précises : sécuritaires et migratoires du point de vue français, territoriales du point de vue marocain. L’intensité des frictions actuelles ne serait pas compréhensible sans tenir compte du degré très élevé de proximité entre le Maroc et la France. Les communautés française et marocaine représentent respectivement les communautés étrangères les plus importantes au Maroc et en France. Quant aux liens économiques, ils sont aussi très étroits : la France est le premier partenaire économique du Maroc et le royaume chérifien, le premier partenaire de la France sur le continent africain. Aucune tension ici : la balance commerciale est excédentaire pour le Maroc, notamment grâce à l’implantation de Renault et de Peugeot sur son territoire. Par ailleurs, le Maroc et la France coopèrent dans tous les domaines et à tous les niveaux. Les deux États ont tout intérêt à surmonter leurs divergences pour continuer à bâtir des pôles de stabilité et de prospérité sur un espace méditerranéen déjà mouvementé.
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La question des visas doit être regardée au travers de deux prismes. Du côté marocain, la réduction des visas français a frappé des individus qui avaient l’habitude de voyager régulièrement en France (de façon non clandestine). Perçue comme injuste, cette mesure a nourri un ressentiment nouveau parmi des franges de la population marocaine plutôt aisées. D’autre part, le réchauffement des relations franco-algériennes n’a pu que froisser le Maroc, qui fait l’objet d’un regain d’hostilité de la part du régime algérien, lequel a décidé unilatéralement de fournir le Maroc en gaz via le gazoduc Gaz Maghreb Europe et organisé des exercices militaires communs avec des forces antiterroristes russes à la frontière marocaine.
Côté français, on constate qu’une large partie des mineurs étrangers présents illégalement sur le sol français sont originaires du Maroc (mais aussi de Tunisie et d’Algérie). En outre, malgré les multiples engagements du gouvernement marocain au sujet de la lutte contre l’immigration illégale, notamment des mineurs, il a été reproché au gouvernement marocain (comme aux gouvernements tunisien et algérien) une certaine lenteur dans la délivrance des laissez-passer consulaires nécessaires pour réaliser l’expulsion d’un délinquant étranger. Enfin, le franchissement régulier de la frontière maroco-espagnole dans les enclaves de la Ceuta et de Melilla par des migrants subsahariens pose un problème non seulement à l’Espagne mais à tous les pays européens vers lesquels ces derniers cherchent à se rendre, et à la France en premier lieu.
La question du Sahara occidental est saillante. Le Maroc, au fond, ne demande pas grand-chose, simplement que la France reconnaisse sa souveraineté sur cette région. Qu’en dites-vous ?
J’interprète la prudence française sur la question de la souveraineté du Maroc au Sahara occidental comme le produit d’une double volonté : celle de tenir son rang de membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies en respectant le droit international, celle de ne pas s’ingérer dans un débat interne au continent africain qui concerne le tracé des frontières issues de la colonisation. À ces deux motifs, j’ajoute une double crainte : celle de se voir reprocher une ingérence dans les affaires régaliennes du continent africain, celle de subir les représailles de l’Algérie en accédant à la demande du Maroc.
« La position constante de la France sur le Sahara occidental a pu se comprendre comme une manière de respecter le droit international et de ne pas s’abîmer en s’ingérant dans une querelle postcoloniale »
Loup Viallet
Pour le Maroc, la question du Sahara occidental relève de son intégrité territoriale, mais pas seulement : les activités du Front Polisario au sud de ses frontières menacent aussi directement la sécurité du royaume chérifien. Elles représentent un foyer de déstabilisation savamment entretenu en son temps par Mouammar Kadhafi ainsi que par toutes les administrations au pouvoir à Alger depuis la décolonisation. D’un certain point de vue, le soutien ininterrompu de l’Algérie aux combattants du Polisario peut s’interpréter à la fois comme une manière de continuer la guerre des sables qui avait opposé le Maroc et l’Algérie au sujet du tracé de la frontière maroco-algérienne au début des années 1960, mais aussi comme une technique pour contenir et déstabiliser un rival direct en l’empêchant de s’affirmer comme une puissance régionale. Cette attitude semble donc à la fois justifiée par des motifs légitimistes et opportunistes. Dans ce contexte, la position constante de la France a pu se comprendre comme une manière de respecter le droit international et de ne pas s’abîmer en s’ingérant dans une querelle postcoloniale, mais aussi être interprétée par le Maroc comme un soutien implicite à la stratégie algérienne, Paris soutenant comme Alger la solution du référendum d’auto-détermination pour trancher l’imbroglio (proposition inapplicable, compte-tenu du caractère nomade des populations sahraouies qui empêche la constitution d’un corps électoral fixe).
Le président Trump a reconnu, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Cela a notamment eu pour effet le rétablissement des relations diplomatiques entre Israël et le Maroc. La confirmation de cette reconnaissance bilatérale par le président Biden l’année suivante a logiquement poussé le régime marocain à faire de cette question la pierre de touche de sa politique extérieure. Les frictions à ce sujet ne sont pas nouvelles dans l’histoire des relations franco-marocaines. Si de nombreux pays ont déjà accordé, puis retiré leur reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental (l’Inde, l’Afghanistan, le Ghana, le Mali, le Kenya…), c’est la première fois qu’un membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies prend un tel engagement, et celui-ci semble peu susceptible d’être renié, à court ou moyen terme. De ce point de vue, le Maroc a le temps de pousser son avantage pour obtenir l’appui de la France, mais aussi de la Grande-Bretagne et renforcer sa légitimité dans la région.
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Le Maroc a récemment voté un texte condamnant les violations des droits de l’Homme en Iran. Depuis la signature des accords d’Abraham, le Maroc se montre exemplaire sur ces questions et veut embrasser l’espace de coprospérité en Méditerranée occidentale tout en développant une politique nouvelle vis-à-vis de son continent africain, où le royaume chérifien multiplie les investissements. Comment voyez-vous cela ?
Le redéploiement économique du Maroc vers l’Afrique de l’Ouest est une conséquence de l’échec de l’Union du Maghreb Arabe, éphémère communauté économique formée entre les pays du Maghreb qui avait pour objectif de former un marché commun pour accélérer leur développement régional. Depuis les années 2000, le royaume chérifien n’a cessé de développer une coopération tous azimuts avec les pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine, allant jusqu’à proposer sa candidature comme membre de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 2017. En quelques années, il est devenu l’un des premiers partenaires commercial des États de l’UEMOA, et l’un des premiers investisseurs dans la zone. Cette stratégie permet au royaume chérifien de s’affirmer comme une puissance économique africaine, concourt au développement des économies ouest-africaines et à l’approfondissement des échanges infra-africains. C’est une manière pacifique de bâtir un rayonnement national.
Vous avez récemment été opposé à Kemi Seba sur Twitter. Son influence grandit sur le continent africain. Vous vous en inquiétez ?
Gilles Capochichi (Kémi Séba est son pseudo) a éructé publiquement lorsque j’ai rappelé sa duplicité : binational franco-béninois, il n’a jamais renoncé à la nationalité française alors qu’il a fait profession d’honnir la France, de réviser son histoire, d’attiser la colère et les ressentiments contre elle, sur le territoire national comme en Afrique subsaharienne. Lié au parrain de Wagner, adoubé par Douguine, invité au MGIMO à discourir pour défendre la vision poutinienne des relations internationales, il se comporte comme un agent de l’étranger, un traître à la Nation, un acteur de la déstabilisation des relations franco-africaine en surfant sur des rumeurs et des mensonges qu’il est bien incapable d’étayer.
« Tous ces individus s’inscrivent dans un narratif qui reprend les principes de la propagande russe en Afrique et dans des luttes qui convergent avec les objectifs de déstabilisation de la France en Afrique poursuivis par le Kremlin »
Loup Viallet
En France, il a inspiré de nombreux suiveurs relativement influents comme le franco-togolais Sylvain Afoua (dit Egountchi Behanzin), le leader de la LDNA ou Franklin Nyamsi, enseignant en philosophie franco-camerounais habitué à violer son devoir de réserve pour répandre son interprétation fielleuse et paranoïaque des relations franco-africaines et chercher à retourner les Français d’origine africaine contre leur pays en leur présentant la France comme un sempiternel bourreau. Tous ces individus s’inscrivent dans un narratif qui reprend les principes de la propagande russe en Afrique et dans des luttes qui convergent avec les objectifs de déstabilisation de la France en Afrique poursuivis par le Kremlin. J’appelle à sanctionner par toutes les voies légales chacun de ces ingénieurs du chaos dont les paroles justifient la transformation du Sahel en poudrière livrée aux organisations islamistes, aux trafiquants et à la loi du plus fort.
Tant que les peuples voisins d’Europe et du Maghreb n’auront pas pris conscience qu’ils sont les dernières poupées russes de la stratégie poutinienne en Afrique, tant qu’ils n’auront pas ouvert les yeux sur la réalité des liens d’interdépendance entre leurs deux continents, ils seront dans l’impossibilité d’assurer durablement et efficacement les conditions d’une stabilité à laquelle pourtant ils aspirent.
DROIT DE RÉPONSE de M. Egountchi Behazin
Le président-fondateur de la « Ligue de défense noire africaine » a tenu à répondre aux propos de Loup Viallet à son sujet, rapportés sur notre site par Gabriel Robin
« Monsieur Loup Viallet qui me mentionne comme étant un narratif qui reprend les principes de la propagande russe en Afrique pour déstabiliser la France en Afrique (…) cherche à mettre l’échec de la France en Afrique sur le dos de la Russie et de quelques panafricanistes qui ne jouent pas le jeu de la France pour endormir le peuple africain. La Russie est de loin la cause de la chute vertigineuse et de la baisse de popularité de la France en Afrique. La France est de moins en moins acceptée en Afrique à cause de sa politique de Françafrique (…) La France doit revoir sa façon de faire avec les Africains et traiter d’égale à égale avec l’Afrique. En accusant les militants panafricanistes, en nous citant comme reprenant le narratif russe, c’est une façon pour l’État français et ses officines propagandistes de ne pas reconnaître qu’elle perd en Afrique grâce à la lutte et aux efforts des panafricains qui ont réussit à faire l’incroyable, en conscientisant les populations, là où la France n’a pas vu venir la chose.
Nous rappelons que ce n’est pas la première fois que la France, pour ne pas assumer ses échecs en Afrique, désigne des coupables fabriqués. Déjà en 1997, l’État français accusait les US d’être responsables de sa décrépitude en Afrique (…) Les populations en Afrique font désormais le choix de se prendre en main et refusent de se retrouver à subir des situations d’indignité pour l’apéritif des intérêts capitalistes. Si la Russie opte pour le respect des gens, soit. Cela n’empêche pas d’être vigilant pour ne pas se faire avoir aux entournures.
Me concernant je n’ai pas attendu la Russie, la Chine, ni la Turquie pour me battre contre les injustices que subissent les populations Afro et africaines où qu’elles soient. (…) Nos luttes sont contre la politique de l’élite de France qui exploite son propre peuple et ni contre les citoyens français ».